L’image du mois de mars 2024 : taches et protubérances solaires en Hα

Pour le mois de mars 2024, nous allons nous rapprocher de notre Terre, et observer quelques belles images de notre Soleil, réalisées en lumière Hα, correspondant à la longueur d’onde 656,3 nm, permettant de visualiser finement les taches et les protubérances. Ces images ont été réalisées le 24 septembre 2023, par Denis Lefranc, avec une lunette 152/1200, munie d’une lentille de Barlow télécentrique x4 et d’un filtre interférentiel Halpha Daystar Ion, de bande spectrale étroite 0,5 angström, centrée sur la raie Hα. Les enregistrements ont été faits avec une caméra monochrome Player One Apollo M MAX.
Chaque photo présentée résulte d’un empilement de 100 à 150 images selon les cas, réalisé avec le logiciel Autostakkert 3.0, et le traitement cosmétique final a été mené avec Photoshop.

Les deux images ci-dessus représentent des taches solaires vues en rayonnement Hα. Leur aspect est bien différent de celui vu en lumière visible ou en continuum vert. Voir à ce sujet les photos de l’article suivant publié dans notre site : Taches solaires – mai 2014.
La zone d’ombre (ou noyau = zone centrale noire) apparait bien plus petite et  plus claire que celle en Hα. La zone de pénombre semble remplacée par des filaments brillants virevoltant autour des noyaux.
Cette différence vient du fait que selon le mode d’observation, on visualise deux couches du soleil qui sont situées à des altitudes différentes, comme dans une tomographie.
Pour bien fixer les idées, le lecteur intéressé pourra visionner la constitution du Soleil dans cet article. La partie du Soleil la plus externe est la “chromosphère“. La température y est de l’ordre de 10 000°K et la pression y est très basse. Dans ces conditions, les atomes d’hydrogène absorbent et ré-émettent continuellement des photons à des fréquences discrètes, caractéristiques de cet élément (les différentes raies de la série de Balmer), dont celle de la fameuse raie rouge Hα, de longueur d’onde égale à 656,3 nanomètres, seule raie qui est transmise par le filtre interférentiel Halpha Daystar Ion très sélectif utilisé .
La chromosphère peut être vue à l’œil nu lors des éclipses totales – c’est la mince couche de couleur rougeâtre qui entoure la partie du Soleil occultée par la Lune. Cette couleur – qui est aussi celle des protubérances qui se révèlent lors d’une éclipse – est essentiellement celle de la raie Hα.

La chromosphère surplombe “la photosphère”, région d’où provient l’essentiel de la lumière solaire que nous recevons et que nous voyons avec nos yeux. La photosphère (ou surface du Soleil) a une température de 5 800°K, et la pression qui y règne est beaucoup plus élevée que celle de la chromosphère. Dans ces conditions, les atomes d’hydrogène interagissent constamment les uns avec les autres, et la lumière émise ne l’est plus à des fréquences discrètes et précises : elle est caractérisée par un spectre continu – dans le domaine visible, on y trouve toutes les couleurs de l’arc-en-ciel – c’est le fameux rayonnement dit du corps noir. On pourra voir le spectre du soleil que nous avons publié en octobre 2012 ou la référence [1].
Pour pouvoir observer la chromosphère, qui émet beaucoup moins de lumière que la photosphère, il faut d’abord se débarrasser de l’éblouissante lumière de cette dernière. Si on tente d’utiliser à cet effet un filtre de densité, non sélectif – par exemple un filtre en mylar aluminé – on va bien entendu réduire l’intensité lumineuse dans de fortes proportions, mais malheureusement à toutes les longueurs d’onde, et donc aussi à la longueur d’onde de la raie Hα, qui restera inobservable. Il faut donc trouver un moyen de diminuer l’intensité de la lumière, sauf à la longueur d’onde correspondant à la raie Hα. Cette mission délicate est confiée au filtre interférentiel très sélectif de type Fabry-Pérot contenu dans le composant Halpha Daystar Ion.

Dans l’observation en rayonnement Hα, les taches deviennent plus petites et moins évidentes que dans le rayonnement visible, la granulation solaire disparait  au profit de stries plus ou moins claires dirigées dans tous les sens, et de grands jets brillants s’échappent du disque solaire.

Revenons au mécanisme de formation des taches :
découvert vers 1910 par un astronome américain : George Ellery Hale.
La matière photosphérique que nous voyons avec nos yeux est à une température constante de 5 500 °K, car elle est en permanence renouvelée par la convection. Si on bloquait la convection, en empêchant la matière de se renouveler en surface, la température baisserait par rayonnement dans l’espace, et la région s’assombrirait (plus froid => plus sombre). C’est ce qui se passe dans les taches, sièges d’un puissant champ magnétique.
Le champ magnétique du soleil est énorme, 10 000 fois plus puissant que sur Terre. Dans ces régions, le champ magnétique crève la photosphère en remontant de la zone convective. Son intensité agit comme un obstacle qui freine fortement le plasma dans sa remontée.
En effet, la matière photosphérique montante est ionisée, donc chargée électriquement. Toute particule chargée réagit en présence d’un champ magnétique. Ici, les atomes ionisés sont freinés, ils ont le temps de se refroidir, et donc de s’assombrir : c’est “l’ombre de la tache”. De plus, les photons, transportés par le plasma, peinent à sortir de la photosphère, renforçant ainsi le caractère sombre des taches.
Le bord de la tache, appelé “pénombre”, est en contact avec la zone non freinée. Il se produit alors un brassage avec le gaz qui remonte dans la photosphère alentour. Le réchauffement est donc partiel, et le rayonnement devient plus intense que dans l’ombre, sans atteindre toutefois l’intensité moyenne correspondant à la température de 5 500°K : c’est ce qu’on appelle “la pénombre” de la tache.

Examinons aussi le mécanisme de formation de la granulation solaire :
Celle-ci est constituée de cellules ascendantes (découvertes en1930) : “les granules” de plasma chaud (de 5 000 à 6 000°Kelvins), entourées de plasma plus froid descendants (1950) : “les intergranules” (à environ 400°Kelvins de moins que le centre des granules). Les granules sont les sommets visibles des cellules convectives engendrées dans le plasma contenu dans la zone de convection. Ce plasma, chargé électriquement, est soumis aux nombreuses variations du très intense champ magnétique solaire. Il se fractionne alors en immenses tubes qui émergent au niveau de la photosphère et qui se déplacent au gré des fluctuations rapides du champ magnétique.
La taille des granules est comprise entre quelques centaines de kilomètres pour les plus petits, jusqu’à environ 2 000 km pour les plus gros. Leur durée de vie varie entre 5 et 10 minutes.
Les taches et la granulation sont visibles à toutes les longueurs d’onde, ce sont donc des phénomènes qui se produisent dans la photosphère.

Quant à la chromosphère, couche photographiée ici, elle s’étend de 500 à 2000 km d’altitude au-dessus de la photosphère. Sa particularité essentielle est que sa température croît avec l’altitude, passant de 4 200°K à près de 10 000°K. Cette croissance de la température avec la distance au Soleil reste l’un des grands mystères de la physique solaire actuelle.
Tout comme dans la photosphère, le champ magnétique et ses fluctuations jouent un rôle particulièrement important pour structurer et conditionner l’évolution à court terme de la chromosphère.

Les structures caractéristiques de la chromosphère sont :
Les plages : grandes régions brillantes dans le Soleil, contreparties des facules photosphériques (pour facules, voir : Taches solaires – mai 2014). Le champ magnétique local y est assez important. Elles sont visibles sur les deux premières images ci-dessus.

Les fibrilles : structures filaires plus sombres (donc moins chaudes) qu’on distingue dans le disque solaire des deux premières images (pour fibrilles, voir aussi : Taches solaires – mai 2015).
Qui prennent le nom de “spicules” quand on les voit de profil sur le limbe (fin liseré blanc), et qu’elles débordent du disque solaire (visibles sur les deux nouvelles images ci-dessus). On peut dire aussi qu’elles délimitent la photosphère (ici = zone noire).
Les filaments et les protubérances : ces deux noms recouvrent en fait la même structure. Nommés “filaments” lorsqu’ils sont visibles dans le disque solaire (ils apparaissent alors sombres, traduisant leur plus basse température par rapport au milieu environnant), ils sont appelés “protubérances” quand ils sont visibles sur le limbe limbe (brillantes sur fond sombre). Les protubérances ne sont en fait que des filaments vus de profil !
Il s’agit de régions où la matière est piégée par les lignes de champ magnétique qui jaillissent de la photosphère. Les protubérances peuvent atteindre des volumes gigantesques égaux à 4 ou 5 fois notre globe terrestre. Des filaments sont visibles dans le corps du Soleil sur les deux premières photos. Des zones de protubérances sont très nettes sur les deux dernières photos ci-dessus.
Et enfin, les éruptions solaires et les éjections de masse coronale (en français abrégé EMC) qui sont  d’énormes bulles de plasma si énergétiques qu’elles arrivent à s’échapper des boucles de champ magnétique sortant de la chromosphère.
Les éruptions et les EMC sont des phénomènes à très grande échelle : leur taille peut atteindre plusieurs dizaines de rayons solaires. Elles modifient les caractéristiques du vent solaire en se déplaçant à très grande vitesse dans le milieu interplanétaire (entre 100 et 2 500 km/s) et peuvent parcourir la distance Terre-Soleil en quelques jours (typiquement trois jours). On n’en voit pas sur les images présentées, mais on peut en observer de belles ici.
Responsables des aurores polaires terrestres, elles peuvent aussi perturber le champ magnétique de notre terre, et engendrer de graves dommages sur les équipements électromagnétiques.
Spicules, filaments, protubérances, éruptions, EMC se produisent dans la couche où les photons sont réémis à la longueur d’onde discrète de la raie Hα : ils ne sont donc visibles que si on arrive à diminuer l’intensité de la lumière visible en dehors de la raie Hα, ce qui est le cas ici avec le filtre Halpha Daystar Ion. Ils demeurent invisibles en rayonnement visible.

Webographie :
[1] https://www.groupeastronomiespa.be/fabryperot.pdf
https://fr.wikipedia.org/wiki/Granulation_solaire
https://en.wikipedia.org/wiki/George_Ellery_Hale
https://media4.obspm.fr/public/ressources_lu/pages_introduction-soleil/atmosphere-solaire_impression.html
https://vega78astronomie.fr/index.php/2023/06/04/le-soleil-en-h-alpha-et-dans-la-raie-du-calcium/

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