L’image du mois de juin 2022 : Librations lunaires

Pour le mois de juin 2022, nous revenons vers une photographie astronomique de base : celle de la Lune à son premier quartier. Après avoir repéré les principaux reliefs lunaires, nous allons enrichir notre observation en rapprochant cette première photographie d’une autre montrant aussi la Lune à son premier quartier, mais enregistrée une autre nuit. Une comparaison fine de la position des différents mers et cratères lunaires nous permettra de mettre en évidence deux des quatre librations lunaires : celle en longitude, et celle en latitude.

Cette image a été réalisée le 9 mai 2022 à 21H 30 à Aureil avec un APN hybride Lumix DMC GX 80 (1/125 seconde à 320 ISO) monté en aval d’une lunette William Optics triplet APO 132/924. La Lune a légèrement dépassé son premier quartier, et selon Stellarium, elle est âgée de 8,2 jours après la Nouvelle Lune.
En cliquant sur l’image, vous obtiendrez la même photo sans le repérage des mers et des principaux cratères le long du terminateur.

Géographie lunaire
Parmi les mers (signalées en jaune), on peut distinguer :
A : la mer de la Sérénité,
B : la mer de la Tranquillité,
C : la mer des Crises,
D : la mer de la Fécondité,
E : la mer du Nectar,
F : la mer du Froid,
G : la mer des Pluies,
H : la mer des Vapeurs,
I : la mer des Nuées.
Les lecteurs intéressés par des informations sur ces mers lunaires peuvent se reporter à la Lune de Denis Lefranc du 7 août 2011 à 20H45, âgée de 8,8 jours, où ses caractéristiques ont déjà été décrites. Elle est  rapportée dans l’article de février 2012.

Pour les cratères (notés en rouge), en allant du nord au sud du terminateur, on trouve :
1 : Platon : avec son fond de lave sombre, aussi appelé le Lac Noir, circulaire : 100 km de diamètre.
2 : Archimède : circulaire, de diamètre 83 km.
3 : Ératosthène : formation circulaire (58 km de diamètre) située à l’extrémité sud des Monts Apennins.
4 : Ptolémée : fond plat circulaire immense (154 km de diamètre), suivi au sud par Alphonse (118 km) et Arzachel (98 km).
5 : Tycho : très jeune cratère circulaire (100 millions d’années et 86 km), reconnaissable à ses éjectas.
6 : Maginus :  vieux cratère isolé au fond immense et tourmenté (164 km de diamètre),
7 : Clavius : énorme formation circulaire abîmée (225 km), constellée de nombreux craterlets.

Observation des librations de la Lune
Reprenons maintenant la Lune du 7 août 2011 à 20H 45, enregistrée par Denis Lefranc, âgée de 8,8 jours, quantité comparable à celle de Michel Tharaud (8,2 jours). Et plaçons ces deux lunes côte à côte. Après ajustage des échelles et des orientations, nous obtenons la photo-montage ci-dessous :Les deux Lunes sans annotation s’obtiennent en cliquant sur la photo-montage.

En examinant cette image avec attention, on remarque deux différences :
– La première est évidente : la Lune de droite, plus vieille de 0,6 jour, présente une partie éclairée plus importante : 65,2% contre 58,3%, d’après Stellarium. Elle tend à devenir gibbeuse. Son terminateur est devenu convexe.
– La seconde est plus subtile : les reliefs (mers et cratères) n’occupent pas des positions identiques.
Ainsi, au pôle nord de la Lune de gauche, on remarque que les cratères 1 (Platon) et 2 (Archimède) sont nettement plus hauts et plus à droite (traits jaunes) que sur la Lune de droite. Tout se passe comme si la Lune de droite avait pivoté sur elle-même, du haut vers le bas, et de la droite vers la gauche, dans un double mouvement de balancement. Ces mêmes balancements (ou oscillations) se retrouvent sur les cratères 7 (Arzachel), 8 (Tycho) et 9 (Clavius) du pôle sud, ainsi que sur les mers 3 (Sérénité), 4 (Crises), 5 (Fécondité) et 6 (Nectar).
Ces balancements sont appelés “librations” :
en longitude pour l’oscillation est => ouest,
en latitude pour l’oscillation nord => sud.

Ces librations peuvent être apparentes ou réelles.

D’autres détails viennent appuyer l’existence de ces deux librations :
Au pôle nord de la Lune de droite, les cratères A et B (en rouge) sont apparus, alors qu’ils ne se voyaient pas sur la Lune de gauche => libration en latitude.
Au pôle sud de la Lune de droite, les cratères H, I et J sont disparus, alors qu’ils étaient encore visibles sur la Lune de gauche => libration en latitude.
Au dessus de l’équateur de la Lune de droite, en bordure du limbe, une nouvelle mer E est maintenant visible : la mer des Ondes => libration en longitude.
En dessous de l’équateur de la Lune de droite, le cratère F, Langrenus, est nettement plus marqué => libration en longitude.
A 5 heures de la mer du Nectar, la tache blanche G, cratère Stevinus, est devenue plus brillante => libration en longitude.
Dans notre cas, les deux librations en latitude et longitude se produisent en même temps.

Origine des librations de la Lune
Lorsque la Lune accomplit une révolution complète autour de la Terre en 27,32 jours : période sidérale par rapport aux étoiles lointaines (ou mois sidéral), elle fait également une rotation complète sur son axe : sa rotation est dite “synchrone”.
On peut dire aussi que sa vitesse angulaire de révolution moyenne égale sa vitesse angulaire de rotation qui est donc de 1 tour en 27,32 jours.
Pour cette raison, elle présente toujours le même hémisphère en direction de la Terre : c’est la face visible de la Lune depuis la Terre. L’autre hémisphère, la face cachée, n’est ainsi jamais visible pour un observateur terrestre.
Suivant ce principe, 50 % de la surface lunaire devrait s’offrir à notre regard de terrien ; or il est possible d’en admirer plus, mais jamais plus de 50 % simultanément. En effet, comme on l’a constaté plus haut, le mouvement de la Lune semble animé de légères oscillations périodiques : les librations. Elles sont de quatre types : la libration en longitude, la libration en latitude, la libration parallactique et… de multiples perturbations physiques.

 

Libration en longitude
Comme la quasi totalité des corps en orbite autour d’un astre, la Lune évolue autour de la Terre sur une trajectoire elliptique dont la Terre occupe l’un des foyers, 1ère loi de Képler, comme le montre le schéma ci-dessous dans lequel l’excentricité et la position de la Terre ont été exagérées. On ne considère ici que le système Terre/Lune sans le Soleil, donc avec la Terre fixe.


Autrement dit, la distance Terre/Lune change constamment au cours d’une révolution. Elle varie de 356 410 km (Lune au périgée, à droite) à 406 740 km (Lune à l’apogée, à gauche).
En vertu de la 2ème loi de Kepler (loi des aires) : la vitesse de révolution angulaire de la Lune augmente quand elle est au voisinage de son périgée, et elle diminue quand elle rejoint son apogée.
Alors que sa vitesse angulaire de rotation sur son axe reste constante.

Cette variation de vitesse angulaire de révolution au cours du mois sidéral se traduit par de légers décalages successifs de la rotation synchrone au cours d’une révolution.
Supposons qu’en 1, au périgée, la Lune soit à sa position initiale avec sa face visible de 50%, (le point rouge marque son centre moyen, la face cachée est grisée).
Entre 1 et 2, la Lune est proche de son périgée, elle parcourt donc le premier quart de son orbite à une vitesse angulaire plus élevée que la moyenne.
En 2, elle arrive donc en avance sur sa rotation : le centre moyen de sa face visible n’a pas encore eu le temps de pivoter de 90° sur son axe. En retard, il est déporté vers la gauche, et une mince bande supplémentaire devient visible depuis la Terre sur son limbe droit.
Entre 2 et 3, deuxième quart de l’orbite, la vitesse angulaire de révolution de la Lune ralentit et devient inférieure à la moyenne, car elle navigue à proximité de son apogée. Elle met alors plus de temps à parcourir ce tronçon et sa vitesse angulaire de rotation rattrape alors son retard.
En 3, les vitesses angulaires de rotation et de révolution s’équilibrent à nouveau. Le point rouge revient au milieu de la face visible.
Entre 3 et 4, c’est la même chose qu’entre 2 et 3, la Lune parcourt son 3ème quart d’orbite à une vitesse angulaire plus faible que la moyenne et prend du retard sur sa rotation.
Ce qui fait qu’en 4, la Lune a effectué une rotation angulaire supérieure à 90°. Le centre de la face visible est alors déporté vers la droite, et une mince bande supplémentaire devient visible depuis la Terre sur son limbe gauche.
Il en résulte qu’au cours d’une révolution de la Lune, chacun de ses bords, gauche et droit, est alternativement visible sur une zone supplémentaire d’environ 7,9° d’angle.
On peut résumer cette libration en longitude en disant que la Lune nous dit “non de la tête”.

Libration en latitude
Le phénomène de cette libration est analogue à l’origine des saisons sur la Terre, son équateur étant incliné de 23, 44° par rapport au plan de l’écliptique.

Ainsi que le montre le schéma ci-dessus : lune tournant autour de la Terre fixe, l’axe de rotation de la Lune n’est pas perpendiculaire au plan de son orbite. Au cours de sa révolution autour de la Terre en 27,32 jours, cet axe reste pointé toujours dans la même direction, et fait un angle de 6,68° avec la perpendiculaire au plan de l’orbite lunaire. De sorte qu’au cours d’un mois sidéral, nous voyons la Lune tantôt par-dessus (Lune de droite), tantôt par-dessous (Lune de gauche). La Lune de droite nous montre une fraction supplémentaire de son pôle sud, et nous cache une partie de son pôle nord, le centre de la face visible s’étant déporté vers le Nord. Alors que 13,66 jours plus tard, c’est l’inverse, nous en voyons plus que le pôle Nord et moins de son pôle sud, avec un centre de la face visible décalé vers le Sud
Au cours d’une révolution de la Lune, chacun de ses bords nord et sud est alternativement visible sur une zone angulaire supplémentaire d’environ 6,41°. Cette fois, la Lune nous dit “oui de la tête”.

Libration parallactique ou parallaxe diurne

Cette libration dépend de la position de l’observateur sur la Terre. Sur le schéma ci-dessus, le système Terre/Lune est vu “de dessus”, avec le pôle nord terrestre dirigé vers nous. Un observateur placé en A sur l’équateur terrestre verra le centre de la face visible de la Lune (point rouge) légèrement déporté vers la droite. Alors que celui placé en B sur l’équateur, à l’opposé de A, ne voit pas la Lune tout à fait sous le même angle. Il percevra le point rouge déplacé sur la gauche. C’est un effet de parallaxe bien connu, utilisé pour la mesure des distances. Il s’agit ici de la “libration parallactique”.
Ainsi, un écart peut être perçu (très difficilement, car inférieur à 1°) entre une Pleine Lune vue le matin et le même soir par exemple. C’est pourquoi on l’appelle aussi “parallaxe diurne”.

Librations physiques
Les trois types de librations apparentes (ou optiques) que nous venons de décrire sont à distinguer des librations physiques qui sont de véritables oscillations réelles de la Lune causées :
– par la variabilité de l’attraction terrestre : la Terre et la Lune sont des corps ni parfaitement sphériques, ni parfaitement homogènes,
– et la force d’attraction du Soleil et des autres planètes : la présence du Soleil et des autres planètes (négligées jusqu’à présent) perturbent également l’orbite de la Lune. C’est le problème très ardu de l’équilibre dynamique d’un système à 3 corps (voire à 4 ou à 5, si on tient compte de Jupiter et de Saturne). L’étude de ces très faibles perturbations de quelques minutes d’arc est très délicate à modéliser et à observer.

Conclusion
Si les effets de parallaxe n’existaient pas, on ne verrait depuis la Terre, que 50% de la surface de la Lune (en fait, un peu moins : 49,8%, car elle n’est pas à l’infini…). Mais grâce aux librations, on atteint presque 60% en cumulant les observations sur plusieurs mois sidéraux (les portions découvertes de la face cachée ne deviennent visibles que si elles sont éclairées par le Soleil, ce qui n’est pas toujours le cas à chaque lunaison).
Compte tenu des ordres de grandeur des différentes librations, ce sont celles en longitude et en latitude qui sont prépondérantes.
Les curieux trouveront dans l’article suivant :
– une animation du mouvement respectif des astres du système : Soleil/Terre/Lune.
– une animation très parlante montrant les phases, les librations ainsi que la variation du diamètre apparent de la Lune au cours d’un mois sidéral.

Bibliographie :
Lacroux Jean, Legrand Christian, Découvrir la Lune, Editions Bordas, avril 2000.

Webographie :
Application : Atlas virtuel de la Lune
https://fr.wikipedia.org/wiki/Orbite_de_la_Lune
https://www.cosmodixi.fr/planetes/lune.php
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Libration_en_latitude.svg
http://lesenfantsdesetoiles.over-blog.com/2016/03/la-libration-lunaire.html
http://www.astrosurf.com/toussaint/dossiers/Lunatique/lunatique07.htm

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