Mission Chara 2015 au Mont Wilson (Californie – USA)

Salut la saplimoges !

Je profite d’un jour de mauvais temps pour vous faire un petit topo de notre mission à l’observatoire du Mont Wilson en Californie. Ça fait une semaine qu’on est sur place maintenant. C’est notre troisième mission sur ce site. On vient tester sur l’instrument CHARA notre nouvelle technique de détection des étoiles dans l’infrarouge. Notre méthode consiste à changer la couleur des étoiles pour mieux les détecter, en transformant leur lumière infrarouge en lumière rouge.

réseau CHARA : 6 télescopes de 1m de diamètre

réseau CHARA : 6 télescopes de 1m de diamètre

Petit rappel pour ceux qui n’ont pas suivi la mission 2013. L’instrument CHARA, c’est un réseau de 6 télescopes de 1m qui travaillent tous ensemble (c’est l’espèce de Y sur la photo). On mélange les faisceaux lumineux venant de chaque télescope, et on a la résolution angulaire d’un télescope de 330 m de diamètre ! C’est le réseau de télescope le plus résolvant au monde. Ces monstres ne produisent malheureusement pas d’images. On obtient juste des interférences, des sortes de courbes où des fois ça frétille, et des fois non, et c’est avec ça qu’on remonte à une image approchée de l’étoile. Pas très sexy, mais très efficace ! Nous, derrière ça, on veut transformer la lumière collectée par le réseau avec des cristaux dits non linéaires, qui ont la propriété de modifier la couleur de la lumière, sans altérer les informations qu’elle contient sur l’étoile. On est venu faire une manip avec deux des 6 télescopes. Cette année, on a les deux télescopes Sud 1 et Sud 2 (ceux qui sont en haut à gauche sur la figure). On a donc deux cristaux qui changent la couleur des deux faisceaux, et ensuite on les mélange pour faire les interférences. Les deux missions précédentes ont été préparatoires. Cette année, pour la première fois, on est dans des conditions qui vont nous permettre de tenter cette expérience.

Une petite photo panoramique de nos deux télescopes (c’est flou, c’est parce que je suis pas bon pour les panoramiques!)

Télescopes Sud 1 et Sud 2, séparés de 34m

Télescopes Sud 1 et Sud 2, séparés de 34m

des télescopes vers la station de recombinaison

des télescopes vers la station de recombinaison

Entre nos deux télescopes de 1m de diamètre, on a 34m de distance ! Les tuyaux entre les télescopes sont sous vide et servent à amener la lumière dans la station de recombinaison une centaine de mètres plus loin. C’est dans cette pièce qu’on est. La lumière passe ensuite dans les lignes à retard. Ces lignes à retard servent à retarder un faisceau par rapport à l’autre, pour que les deux faisceaux qui viennent des deux télescopes aient parcouru le même chemin depuis l’étoile, au mm près ! Si on n’a pas ça, on n’a pas d’interférences.

Les lignes à retard. Des miroirs se promènent sur les rails. Tout au fond, c'est bibi !

Les lignes à retard. Des miroirs se promènent sur les rails. Tout au fond, c’est bibi !

Ensuite, après s’être réfléchi sur un paquet de miroirs, après avoir traversé des lames, et avoir été injectés dans des fibres optiques de quelques microns de cœurs, les photons arrivent enfin dans notre manip.

Passage de nos fibres optiques à travers la cloison par François

Passage de nos fibres optiques à travers la cloison par François

Bon, ça pas l’air bien rangé comme ça, mais il y a une logique là-dedans. On a fait de notre mieux pour que ça traîne pas trop:)

manip

On dispose de quatre nuits d’observations. On a démarré dans la nuit du dimanche 19 avril au lundi 20. On vient de faire celle de lundi à mardi. Pendant la journée, on prépare la séance d’observation, on choisit les étoiles qu’on va pointer, et on démarre les observations au coucher du soleil vers 20h. On observe jusqu’à 5h30. On a un opérateur sur place qui nous pointe les deux télescopes vers les étoiles voulues. Il fait tout à distance. Tout est informatisé. C’est impressionnant à voir. Même pour injecter la lumière dans les fibres, c’est automatisé. Il lui faut moins de 10 minutes pour pointer une étoile et verrouiller les deux télescopes dessus. Ensuite, 5 autres minutes pour l’injection dans les fibres, et c’est prêt !

De notre côté, on récupère les photons, on change leur couleur, et on fait des interférences. Et ça a marché du premier coup !!!! On était vraiment content parce que ça fait plus de 10 ans qu’on travaille sur ça, et enfin, le 19 avril à 20h22 (j’ai tout noté), on a enfin réussi à obtenir nos interférences ! On a commencé avec une étoile plutôt brillante (magnitude -0.6 dans l’infrarouge), puis on a pris des étoiles de plus en plus faibles.

La deuxième nuit d’observation, on a tenté une étoile encore plus faible, pour voir la limite de notre instrument. Malgré la difficulté expérimentale (on a un flux d’environ 0.000 000 000 000 000 001 Watt dans chaque fibre, soit une dizaine de photons par seconde, c’est pas violent), on a tout de même réussi à faire des interférences avec des temps de pause de 30 minutes.

On est vraiment content car c’est le résultat de 10 ans de travail. De nombreux étudiants en thèse ont apporté leur pierre à l’édifice pendant toutes ces années. L’équipe a travaillé d’arrache-pied pour arriver à ce résultat, en particulier François Reynaud et Laurent Delage, qui sont à l’origine de ces travaux de recherche. Un grand merci à eux !

La suite ? Dès notre retour à Limoges, on va avoir du travail pour analyser toutes les données (on enregistre plus d’un giga de 0 et de 1 chaque nuit). On va commencer la rédaction des articles scientifiques, préparation des conférences pour présenter nos résultats. On va communiquer aussi auprès du grand public (communiqué de presse CNRS, populaire du centre sûrement). Si vous êtes d’accord, je me ferai un plaisir de vous présenter ce qu’on a fait lors d’une causerie.

L’annonce de nos résultats vient d’être publiée sur la page facebook de l’instrument CHARA :

facebook_chara

Pour terminer, un petit coucher de Soleil depuis l’observatoire, parce que j’aime bien:)

coucher_soleil_chara

Ludovic Grossard
Observatoire du Mont Wilson
21 avril 2015

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