L’image du mois de mai 2016 : Le Sombrero, alias M 104.
Le printemps avance. Avec lui, les objets du ciel profond proches de l’horizon sud prennent de la hauteur : c’est le moment de recommencer à s’intéresser à eux. Ce mois-ci, nous vous proposons un objet célèbre de cette région : le Sombrero, alias M 104 ou encore NGC 4594, ou encore PGC 42407. Cette splendide galaxie tire son nom de sa forme particulière rappelant le chapeau mexicain. Celle-ci est due à son bulbe important, composé de vieilles étoiles, et à son disque sombre vu par la tranche, renfermant étoiles, gaz et structures de poussières complexes.
Cette photo a été réalisée par Jean Pierre Debet en avril 2015 à Saint Léonard de Noblat avec un télescope C9 muni de son réducteur et équipé d’une caméra SBIG STF 8300. Le temps de pose global de 5H 20 min se décompose ainsi : luminance : 2H40 en poses de 4 min binning 1, couleurs en poses de 1,5 min et binning 2 : rouge : 40 min, vert : 30 min, bleu : 54 min. Le traitement numérique a été effectué avec Pixinsight.
Cliquer sur l’image pour l’observer en résolution supérieure.
Trois découvreurs pour cette Galaxie :
La galaxie du Sombrero a été découverte par l’astronome français Pierre Méchain le 11 mai 1781, comme une très faible « nébuleuse ». Charles Messier, collaborateur de Pierre Méchain, l’avait reportée dans ses manuscrits personnels, mais ne l’avait pas notée dans la première édition du catalogue des 103 objets célestes qu’il compila entre 1758 et 1782.
Ce n’est qu’en 1921 que l’astronome français Camille Flammarion suggéra son addition dans le célèbre catalogue « Messier », avec le numéro 104, après avoir remarqué dans les notes manuscrites de Charles Messier la similitude de position entre cet objet et celui découvert par William Herschel en 1784 (H I.43), galaxie identifiée dans le New General Catalogue sous le numéro 4594 [1] [2].
Elle fait partie des sept galaxies qui seront ultérieurement ajoutées au catalogue initial en 1947 (M 105 à M 107), en 1960 (M 108 et M 109) et en 1967 (M 110) [3].
Caractéristiques physiques du Sombrero :
Le Sombrero se trouve à environ 30 millions d’années-lumière (AL) de nous. Son champ angulaire mesure 9 x 4 minutes d’arc, correspondant à une taille réelle de 50 000 X 22 000 AL (Voie Lactée = 100 000 X 10 000 AL). Avec une magnitude apparente de 8, il est visible avec de classiques jumelles de 50 mm, mais évidemment, c’est avec de forts grossissements que la bande de poussières est révélée dans toute sa complexité.
Jusqu’en 2012, le Sombrero a été observé par le VLT, Hubble, une armada de télescopes et de satellites, et on croyait que le Sombrero était une galaxie spirale de type Sa-Sb, c’est à dire avec moins de bras spiraux que notre Voie Lactée qui est de type Sb-Sc. En effet, les spirales apparaissent avec des grossissements supérieurs à 200, de courtes poses, et un traitement numérique spécial [4].
Mais en 2012, le télescope spatial infrarouge Spitzer crée la surprise en révélant, à la fois la vraie nature du Sombrero, et par là-même, la raison de son étrangeté… Ce que la vision infrarouge de Spitzer a révélé, c’est que M 104 n’est pas une galaxie spirale, mais une galaxie elliptique géante…, ainsi que le montre la photo composite [1] ci-dessous avec un disque de poussière, enregistré à la longueur d’onde de 8 µm par Spitzer et reproduit en rouge sur la photo, dessinant une ellipse presque parfaite sans aucune spirale. Cette requalification permet de de résoudre une énigme de M 104 : son halo de plus de deux mille amas globulaires, aberrant pour une simple spirale, devient parfaitement normal autour d’une elliptique géante…[Serge Brunier 6] [7].
Le bulbe de M 104 contient 10 fois plus d’amas globulaires que celui de notre galaxie, mais tous sont soupçonnés d’avoir entre 10 et 13 milliards d’années [4].
Le noyau du Sombrero abrite un trou noir supermassif d’environ 1 000 milliards de masses solaires, un des plus massifs trous noirs mesurés dans les galaxies proches, 250 fois plus large que celui de la Voie Lactée. En dépit de cet énorme trou noir en son centre, la galaxie semble plutôt tranquille, impliquant que celui-ci ne trouve plus grand chose à absorber…[1].
La bande sombre du disque de M104 se compose principalement de poussière et de gaz hydrogène. Contenant la majeure partie gaz moléculaire froid de la galaxie, elle constitue le principal site de formation d’étoiles.
Là encore, les images infrarouges de Spitzer révèlent l’étrangeté du disque de gaz et de poussières qui entoure le cœur de la galaxie, et sur ce point, bien des mystères demeurent :
Comment ce disque est-il apparu au cœur d’une galaxie elliptique, en principe dénuée de gaz et de poussières ?
Comment a t-il gardé, au fil des ans, une forme aussi parfaite ?
Personne ne le sait encore avec certitude, car une telle configuration, à savoir un disque parfait au cœur d’une elliptique géante, n’a encore jamais été observée ailleurs dans l’Univers [Serge Brunier 6].
Depuis 2 ou 3 ans, certains scientifiques pensent que les images de Spitzer révèlent l’intrication de deux galaxies en une seule : une large elliptique et un mince disque galactique emboîté dedans [1]. Affaire à suivre….
En 1912 [8], Vesto Slipher, un astronome américain, fit une découverte précoce remarquable au sujet des galaxies. En effet, il fut le premier à observer le décalage vers le rouge de leurs raies spectrales et, en 1917, avec d’autres astronomes, à comprendre que ce décalage traduisait un éloignement des galaxies. Pour le Sombrero, ce décalage vers le rouge conduit à une vitesse de récession de 1 000 km/s. Les conséquences de cette mesure furent importantes pour les astronomes de l’époque de Slipher qui croyaient que les « nébuleuses spirales » (ils dénommaient M 104 ainsi) faisaient partie de notre Voie Lactée. Or, avec une telle vitesse d’éloignement, il ne pouvait en être ainsi ! La mesure de sa distance trancha définitivement cette question.
Comment trouver le Sombrero ?
Pour les amateurs qui possèdent une monture avec la fonction GO TO, aucun problème. Mais avec des jumelles, c’est plus délicat.
Cette galaxie se trouve dans la constellation de la Vierge, en bordure sud de la frontière (lignes rouges) avec celle du Corbeau, ainsi que le montre le schéma Stellarium ci-dessus.
En fait, c’est à partir du Corbeau qu’on le trouve le plus facilement.
Le Corbeau est situé à l’extrémité de la grande courbe dessinée par la suite : étoiles du manche de la Grande Casserole, Arcturus, Spica. Ses 5 étoiles principales sont très reconnaissables. On part de Algorab, l’étoile la plus au nord et on remonte vers le centre de la constellation de la Vierge. On remarque alors une formation caractéristique de 4 étoiles en « Y inversé » dont la pointe se termine par un astérisme de 3 étoiles brillantes en triangle appelé « Canali1 ». A partir de là, on continue à monter dans la direction de l’axe du « Y » et on trouve un 2ème astérisme composé de 4 étoiles presque en ligne, appelé Pothier 11. En se déplaçant légèrement vers l’Est, un demi-degré environ, la galaxie M 104 doit apparaître dans le champ de l’instrument.
Observation du Sombrero et de son environnement :
La vision bien connue de cette galaxie, c’est son énorme bulbe blanchâtre, bien dense, presque circulaire ici, centré autour d’un noyau blanc brillant de la grosseur d’une étoile, traversé dans son milieu par une bande de poussière presque noire au centre, marron foncé aux extrémités, dessinant une ellipse parfaite. Vue depuis la Terre, cette galaxie est légèrement inclinée de 6 degrés environ, pas assez pour qu’on ait un faible espoir de distinguer son caractère elliptique.
Un passage dans la fonction « ImageSolver » du logiciel « Pixinsight » dévoile le riche environnement galactique autour de M 104. Cliquer sur l’image pour l’observer en résolution supérieure.
Sur un degré carré environ, on en compte 13 appartenant au PGC (Catalogue of Principal Galaxies qui en compte 983 261 confirmées dont la magnitude dans le bleu est grosso modo inférieure à 18) [9]. On retrouve le Sombrero sous le numéro 42407, et d’autres galaxies comme PGC 962963 de magnitude 16,6 et de dimension 0,5′ X0,6′. Ceci donne une idée de la résolution angulaire et de la luminosité minimum données pat toute la chaîne instrumentale.
On peut en avoir une estimation plus précise avec la recherche de la plus faible luminosité enregistrée, toujours avec la même fonction, mais en lui demandant cette fois d’indiquer les étoiles tout juste visibles.
On constate qu’il y en a 7 qui dépasse la magnitude 17, la plus faible atteignant 17,70. En grossissant l’image, on distingue nettement les 4 petits points encadrant les étoiles repérées.
Terminons par Pothier 11, le très joli astérisme à droite de l’image, composé de 4 étoiles diversement colorées avec des magnitudes comprises entre 7,82 et 9,17.
Webographie :
[1] http://www.constellation-guide.com/sombrero-galaxy-messier-104/
[2] http://philo06.free.fr/Astrophotographie/Galaxies/M104.html
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Catalogue_de_Messier
[4] https://www.eso.org/public/outreach/eduoff/cas/cas2002/cas-projects/uk_m104_1/
[5] http://www.universetoday.com/wp-content/uploads/2012/04/642296main_pia15426-43_946-710.jpg
[6] http://www.franceinfo.fr/emission/….05-05-2014-11-47
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/M104
[8] http://www.space.com/25522-sombrero-galaxy.html
[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Catalogue_of_Principal_Galaxies
Rédaction : Michel Vampouille
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