L’image du mois de mai 2014 : taches solaires

Soleil DenisSoleil Christophe Pour l’image du mois de mai 2014, nous avons rendez-vous avec ces deux images complémentaires du Soleil.
La première a été réalisée le 4 mars 2014 par Denis Lefranc pour tester le fonctionnement d’un hélioscope de Herschel monté sur une lunette achromatique 152/1200 M42optic.
La seconde, enregistrée le 14 avril 2014 par Christophe Mercier avec un télescope Meade 10 pouces, révèle le détail des taches grâce à sa longue focale de 2500 mm.
Mise en garde : il ne faut JAMAIS observer le Soleil avec un quelconque instrument d’optique, jumelles, lunette ou télescope. A l’œil nu déjà, il provoque des brûlures de la rétine ; avec un instrument, elles seraient très graves et irréversibles.
Cliquer sur les images pour les observer en résolution supérieure.

Soleil Denis
Prise de vue et traitement de la
1ère photo :

L’hélioscope (ou prisme) de Herschel est un renvoi coudé qui exploite le principe de réflexion partielle de la lumière sur une lame de verre à faces non parallèles. Cette lame, inclinée à 45° réfléchit 4% du rayonnement qu’elle reçoit en direction de l’observateur et en transmet 95% vers le sol via une sortie située à l’arrière du dispositif (1% est perdu dans le prisme). Il est évident que ces 4% de rayonnement réfléchi constituent encore une quantité de lumière trop importante pour permettre une observation sans danger. Pour fixer les idées, ces 4% représentent la lumière que laisserait passer un filtre gris neutre de densité optique 1,4. Il est donc impératif de réduire encore le flux lumineux au moyen d’un filtre neutre de densité 3 à 4, auquel on ajoute un filtre (Baader Continuum) de bande passante étroite (8 nm) autour de la longueur d’onde verte 540 nm. Ce  second filtre a pour rôle de renforcer le contraste et de réduire légèrement les effets de la turbulence atmosphérique. Dans toutes ces manipulations, il est important d’ajuster la densité du filtre neutre pour que le temps de pose soit le plus bref possible : on aura ainsi plus de chances de passer à travers un trou de turbulence.
Cet hélioscope ne peut fonctionner qu’avec une lunette. Dans un télescope, l’apport de chaleur serait trop important au niveau du miroir secondaire.
La technique employée par Denis est celle décrite ci-dessus : un filtre gris neutre de densité 3 ainsi qu’un filtre “Baader Continuum” sont montés en aval de l’hélioscope. On obtient ainsi une densité optique de 5 environ. Les photos ont été enregistrées avec un boîtier Canon EOS 6D réglé sur la sensibilité de 320 ISO, avec des temps de pose de 0,3 ms. Après un triage manuel, les 33 retenues ont été recalées sous Iris avec la fonction “pregister” et additionnées avec “sigmaclipping” pour obtenir le meilleur rapport “signal sur bruit”. Le traitement cosmétique final a été réalisé avec Photoshop.

Analyse de la 1ère image :
Cette photo (cliquer dessus pour l’observer en résolution supérieure) révèle clairement toutes les caractéristiques qu’on est en droit d’attendre avec la technique d’observation instrumentale utilisée dans le domaine visible, à savoir :
– un bord net : ceci semble curieux si on songe à la nature gazeuse du Soleil : une boule de gaz se dilue progressivement dans l’espace, et ne présente pas de bord précis. Le Soleil (ainsi que toutes les étoiles) devrait donc avoir un aspect cotonneux. Et pourtant, l’observation prouve le contraire…
Pour expliquer cette apparente contradiction, il faut comprendre que la lumière visible émise par le Soleil provient uniquement de la photosphère, c’est-à-dire d’une enveloppe de gaz d’épaisseur très mince (350 km) par rapport à son diamètre (1,4 millions de km). Voilà pourquoi le « bord » du Soleil nous paraît net !
Il faut maintenant expliquer pourquoi seule cette enveloppe émet presque tout le rayonnement solaire : 46% dans le domaine visible et 46% dans l’infrarouge. Parce que la masse volumique des gaz contenus dans la photosphère présente les bonnes valeurs pour qu’il en soit ainsi ! Il est facile de comprendre que la masse volumique des gaz (et la pression) augmente d’autant plus qu’on se rapproche du cœur de l’étoile. Mais ce qu’on imagine moins, c’est que cette variation, très rapide avec la distance au centre de l’étoile, puisqu’elle est d’un facteur 30 entre les limites supérieure et inférieure de la photosphère, est capable d’engendrer des effets très différents à 350 km de distance.
Repérons par la cote 0 l’altitude sur la limite supérieure de la photosphère.
A la cote [0 + 50 km], on est au dessus, la masse volumique du gaz est très faible et la matière est trop ténue pour émettre beaucoup de lumière. Cette zone nous paraît sombre par rapport aux autres bien plus lumineuses.
A  la cote [0 – 200 km], on est dans la photosphère, la lumière émise à cet endroit-là est absorbée sur les 200 km qu’elle doit parcourir pour sortir de la photosphère, mais l’absorption n’est pas totale. Cette zone contribue donc à l’illumination de la photosphère.
A la cote [0 – 450 km], on est en dessous de la photosphère, la matière, maintenant très dense, absorbe toute la lumière sur les 450 km des son parcours vers la sortie. Aucune lumière provenant de cette zone ne sort de la photosphère. Cette zone est donc opaque !
Quand on dit que la masse volumique est trop faible ou trop forte, il faut donner des chiffres pour saisir la rapidité des variations qu’elle engendre.
A la frontière inférieure de la photosphère [0 -350 km], la masse volumique est de 3 millièmes de gramme par litre (sur Terre, à l’altitude 0 : 1,3 g/l) et la température de 6 000°K ; à la frontière supérieure [0], celle –ci chute à 0,1 millième de gramme par litre et la température à 4 500°K.

– l’assombrissement périphérique du disque solaire :
Cet effet, très visible, sur la photo présentée (les bords su disque sont moins brillants que le centre) résulte de l’explication précédente. Le schéma ci-contre explique bien ce phénomène.

La lumière qui nous parvient du centre du disque solaire a traversé perpendiculairement une partie ou la totalité des 350 km d’épaisseur de la photosphère. Elle a été affaiblie au passage (d’autant plus qu’elle provient de loin), mais très partiellement. Par contre, la lumière qui nous arrive de la périphérie a traversé tangentiellement la photosphère. Elle traverse donc des couches plus denses sur de plus grandes distances, donc plus absorbantes. La lumière qui nous parvient des bords provient donc de couches moins profondes que celles qui nous envoient de la lumière au centre. Quand on regarde le Soleil sur ses bords, on “voit” une couche de matière située à une altitude (par rapport au centre) plus élevée dans la photosphère. Et donc moins chaude ! Plus on s’éloigne du centre, plus froide est la couche observée. La couche la plus chaude observée (correspondant au centre du disque) rayonne beaucoup plus dans le domaine sensible de l’œil : par conséquent, le centre nous apparaît plus lumineux.
A cet effet, il faut ajouter aussi un facteur d’obliquité qui atténue encore l’illumination périphérique. La lumière des bords sort perpendiculairement à la surface du disque solaire. Celle qui nous parvient, ayant subi un changement de direction, n’est qu’une fraction de la lumière émise, accentuant ainsi l’assombrissement périphérique.
Sur le schéma, l’épaisseur de la photosphère a été infiniment exagérée, pour la lisibilité. Ses 350 km d’épaisseur réelle, pratiquement négligeables par rapport aux 700.000 km de rayon du Soleil, seraient invisibles à l’échelle du dessin.

– les facules :
Les facules sont de petites taches brillantes visibles sur la photosphère qui ressortent vivement en clair sur le disque lumineux du Soleil et qui accompagnent presque toujours les taches sombres. Elles sont surtout remarquables sur les bords du disque, là où la lumière décroît rapidement. Ici, on en voit distinctement 3 groupes parsemés de taches sombres.
Au voisinage des taches, comme sur celle en bas à droite, elles affectent souvent la forme de ruisseaux lumineux divergeant de tous côtés. Elles peuvent atteindre jusqu’à 20 000 km de longueur et changent de forme rapidement à l’échelle de la dizaine de minutes.
Au contraire, celles qui sont isolées et sans tache sombre persistent parfois plusieurs jours sans altération visible.
Il y en a aussi autour des taches sombres centrales, mais elles ne sont pas visibles. C’est l’assombrissement du disque solaire qui permet de les faire apparaître en périphérie.
Tout comme les taches solaires, elles sont liées à des phénomènes d’origine magnétique qui, en bloquant les mouvements de convection, modifient la température locale de la photosphère.

– la granulation solaire :
Toujours en périphérie, mais aussi un peu au centre, on commence à distinguer la granulation solaire sous la forme d’une structure de petits grains brillants (chauds) : les granules, cernés par des zones plus sombres et étroites : les intergranules. Nous y reviendrons avec la 2ème image.

– les taches solaires :
On nomme taches solaires les régions sombres de la photosphère qui apparaissant temporairement sur notre étoile, le plus souvent par petits groupes, comme c’est le cas ici. Leur étendue peut être très variable. Quelques-unes ont des dimensions considérables, parfois colossales : telle celle signalée en 1858, dont le diamètre de 220 000 km égalait près de 18 fois celui de la Terre et la surface couvrait 1/36e environ de la surface visible du Soleil. Pendant les seules années 1882 à 1885, cinq mesurèrent de 86 000 à 144 000 km. Nous en parlerons plus abondamment avec la 2ème image.

Prise de vue et traitement de la 2ème photo :

Cette fois, la longue focale du télescope Meade 10 pouces, équipé d’une feuille Astrosolar Baader de densité 3,8 et d’un filtre Solar Continuum 540 nm permet de visualiser les taches sombres et la granulation avec un grossissement respectable. Malheureusement, le vent et la turbulence atmosphérique ont empêché l’emploi d’une lentille de Barlow. Les photos ont été enregistrées à cadence rapide (60 im/s) en mose vidéo (temps de pose : 0,2 ms) avec une caméra DBK 21AU618.AS. Après une sélection sévère, les meilleures ont été traitées avec le logiciel AutoStakkert et terminées avec Photoshop.

Analyse de la 2ème image :

Soleil ChristopheLe montage photographique présenté ci-dessus montre (cliquer dessus pour l’observer en résolution supérieure) :
– à droite : la morphologie des taches sombres photographiées portant les numéros AR 2034 et AR 2036 (AR = Active Region = zone active), numéros attribués par le National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), incrémentés d’une unité à l’apparition de chaque nouveau groupe de taches.
– à gauche : l’image du Soleil du 14 avril 2014 provenant de la sonde Soho et disponible sur Internet, permettant le repérage et l’identification des taches.
Comme on peut le constater, une tache solaire se compose de deux parties : une zone centrale, très sombre, presque noire, qu’on appelle le noyau (ou ombre), et, tout autour, une zone annulaire et frangée, la pénombre, plus claire que le centre, mais plus foncée que le disque, et généralement composée de longs filaments rayonnant vers le noyau. On les distingue très bien sur les images présentées. Les contours, limites de séparation du noyau et de la pénombre, ainsi que ceux qui bornent la pénombre sur le disque du Soleil, sont, d’ordinaire, nettement tranchés, et l’éclat relatif de cette dernière est un peu renforcé dans ses parties voisines du noyau noir.

Caractéristiques des taches sombres :
Lorsque la tache apparaît sur le bord oriental du disque solaire (bord gauche pour un observateur européen), la rive orientale de sa pénombre est vue seule, puis, le noyau devient visible, puis la rive occidentale. Sa forme générale est bien souvent fort irrégulière pendant cette première période. Elle devient ensuite plus ou moins circulaire à mesure qu’elle s’avance vers le centre du disque, et la pénombre se montre alors dans tout son développement, avec le noyau en son centre. Enfin, à l’approche du bord occidental, les mêmes phénomènes se reproduisent, mais en ordre inverse.
Cette variation simultanée de forme et de position a conduit les astronomes à voir les taches comme des cavités en forme d’entonnoir, constituant autant de creux à la surface de la photosphère, et mettant à nu, par l’ouverture ainsi creusée, le globe lui-même, beaucoup plus sombre.
Vers 1860, Warren de la Rue, un astronome et chimiste britannique, grâce à des photos stéréoscopiques, voit les taches se modeler en creux. Vers 1890, Rico, un astronome italien, trouve leur profondeur moyenne en mesurant la largeur de leurs pénombres : 1037 km.
Quant à leur taille, on peut l’estimer ici grâce à l’échelle donnée sur la photo Soho. Les taches les plus grosses des 2 groupes photographiés ont un diamètre égal à 2 ou 3 fois celui de la Terre, soit 25 000 km environ.
Leurs durées d’existence sont très diverses : un à deux mois en moyenne, quelquefois deux à trois jours, voire deux à trois heures.
Elles ne se produisent pas indifféremment sur tous les points du disque. On en rencontre très rarement aux latitudes supérieures à 40° et la plupart se montrent dans les limites de deux zones symétriques, comprises, pour chaque hémisphère, entre 10° et 35°. A ce titre, celles  se trouvant sur l’équateur solaire de la photo 1 sont une exception. Elles changent incessamment de forme et de dimensions et possèdent de petits mouvements propres. Enfin, leur nombre passe par des maxima et des minima très accentués, correspondant aux maxima et aux minima de l’activité solaire. Ceux-ci sont à peu près périodiques et se répètent tous les 11/12 ans avec une certaine régularité.
Les taches sombres correspondent aux régions où des lignes de champ magnétique (très resserrées) s’extraient du Soleil ou y replongent. En pratique, cela signifie que l’on rencontrera des groupes de taches de polarité magnétique opposée allant par paires : les lignes de champ magnétique sortent par une des taches sombres d’une polarité donnée et rentrent par une autre de polarité opposée (ce phénomène est très net sur le groupe AR 2036 et sur la photo 1). Ces lignes rentrantes et sortantes donneront parfois naissance à des arches de matière coronale ou à des protubérances s’élevant à des milliers de km au dessus de la photosphère, mais il faut une autre technique pour les visualiser. L’activité magnétique présente au sein des taches s’étend en profondeur dans la zone de convection située immédiatement sous la photosphère. Elle y contrarie les mouvements ascensionnels de matière, limitant ainsi l’apport thermique au niveau de la photosphère. Cette diminution localisée de chaleur engendre une baisse de température de 1500 à 2000°K par rapport à celle des régions environnantes. Cette chute de température suffit à expliquer pourquoi les noyaux nous apparaissent, en contraste, bien plus sombres que le reste de l’étoile. Ils sont pourtant à une température proche de 3 000 °K. Si on pouvait les observer seuls, on les verrait plus lumineux que la Pleine Lune.
L’existence de taches sombres n’est pas un phénomène réservé à notre Soleil : diverses techniques (notamment la tomographie Doppler) ont également permis de mettre en évidence la présence de taches à la surface d’autres étoiles.

La structure en “grains de riz ” :
Sur des clichés de qualité suffisamment grossis commes c’est le cas ici, on voit apparaître une structure “en grains de riz” constituée de “granules”, relativement brillants, séparés par des zones plus sombres : “les intergranules”. Ces granules ont des dimensions de l’ordre du millier de kilomètres.
En faisant des clichés successifs de la même région, on constate que certains de ces granules présentent un aspect différent à quelques minutes d’intervalle et qu’ils disparaissent après ce qui s’apparente à une explosion. A partir de leurs éclats respectifs, on trouve que la température de l”espace inter-granulaire est inférieure d’environ 500°K à celle de la matière granulaire. Par des analyses spectroscopiques de vitesse au moyen de l’effet Doppler-Fizeau, on est conduit à imaginer le schéma suivant : les granules sont des cellules de gaz chaud poussées vers l’extérieur par la convection (avec des vitesses verticales ascensionnelles de quelques kilomètres par seconde). Arrivée à une certaine hauteur, cette matière se refroidit et retombe dans les intergranules.  Les granules présentent de plus un mouvement d’expansion dont la vitesse moyenne se situe autour de 2 km/s.
La granulation apparaît donc comme une manifestation en surface de la zone de convection située juste sous la photosphère.

Les missions d’observation modernes :
L’étude des taches solaires continue de façon intense grâce à des instruments terrestres et spatiaux qui sont constamment perfectionnés. Les instruments spatiaux sont particulièrement efficaces car l’atmosphère terrestre ne fait alors plus obstacle à l’observation dans tout le spectre électromagnétique.
Malgré le lancement d’une série de satellites d’observation du Soleil au cours des vingt dernières années, plusieurs questions demeurent sans réponse :
– Nous ne savons toujours pas prédire la température et la luminosité qu’aura une tache solaire même si l’intensité de son champ magnétique est connue.
– Nous ignorons toujours l’origine et la structure de la démarcation ombre/pénombre des taches.
– Enfin, la profondeur des taches et la manière dont l’énergie est transportée vers la surface du Soleil restent inconnues.
Plusieurs modèles physiques du cycle magnétique solaire à l’origine des taches ont été proposés, mais aucun ne fait consensus.
La petite histoire des taches solaires est loin d’être terminée et les chercheurs du monde entier sont très friands des observations d’amateurs montrant leur évolution temporelle…

Si l’aventure vous tente, n’hésitez pas…

Webographie :
http://www.telescope.ch/prod/index.php?option=com_content&view=article&id=50%3Ale-prisme-ou-helioscope-de-herschel&catid=22%3Alobservation-solaire&Itemid=86&lang=fr
http://astronomia.fr/2eme_partie/soleil.php
http://www.cosmovisions.com/facule.htm
http://clubregulus.free.fr/Soleil.html
Granulation solaire sur Wikipedia
http://sohowww.nascom.nasa.gov/sunspots/
http://www.ac-nice.fr/clea/C4.html
http://www.asc-csa.gc.ca/fra/sciences/taches-solaires2.asp

Rédaction : Michel Vampouille

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