L’image du mois de septembre 2015 : La Voie Lactée

Restons dans l’actualité céleste pour ce mois de septembre avec une photographie de l’emblématique Triangle d’Eté traversé par la Voie Lactée. Cette image a été enregistrée en Limousin le 23 septembre 2013 à 21H44 par Michel Tharaud avec un APN Canon EOS 20D muni d’un objectif zoom 18-125 mm, réglé à la position grand angulaire de 18 mm, ouvert à F/3.5 sous une sensibilité de 400 ISO. Le temps de pose de 200 secondes a nécessité l’emploi d’une monture pour assurer le suivi.
VoieLactée2tiragesNous la présentons en deux versions qui diffèrent par les traitements numériques appliqués à la photographie originale enregistrée au format « RAW » :
– l’une, avec un traitement doux (réalisé par Denis Lefranc), qui révèle les nuances et les couleurs de notre galaxie,
– l’autre, traitée lors d’un de nos ateliers astrophoto avec un contraste plus grand qui permet une meilleure reconnaissance des constellations (voir image annotée plus loin).

Observation de la Voie Lactée :
Visible depuis la Terre sous la forme d’une bande blanchâtre traversant la voûte céleste, le phénomène visuel de la Voie lactée provient en majeure partie des étoiles et du gaz qui la composent. Selon les derniers relevés du télescope spatial Kepler, elle contient entre 200 et 400 milliards d’étoiles (234 milliards selon une récente estimation). Notre Soleil est l’une d’elles, tout à fait banale. Le nombre d’étoiles visibles à l’œil nu est faible : quelques milliers au plus dans de bonnes conditions d’observations. Par contre, il augmente considérablement avec le diamètre des instruments, lunettes ou télescopes [1].
Comme nous sommes en son sein, et plus précisément à sa périphérie, il est difficile de connaître sa forme exacte, mais l’on sait qu’elle est assez semblable à celle de la galaxie d’Andromède, la plus proche de nous à 2,2 millions d’années-lumière.  Il s’agit donc d’une galaxie spirale barrée, avec un noyau central, dont on sait maintenant que c’est un trou noir (comme pour tous les noyaux de toutes les galaxies), entouré d’un renflement sphéroïdal appelé « bulbe », lui même entouré d’un « halo » formant une sphère d’environ 1 000 années-lumière de diamètre. Son allure générale est représentée par les deux schémas ci-dessous :
Schémas1Le premier est une vue d’artiste représentant la Voie Lactée vue de face. D’un diamètre de 100 000 années-lumière, notre galaxie compte 4 bras spiraux bien dessinés : Persée, Sagittaire, Centaure,  Règle-Cygne, et un cinquième plus petit : le bras d’Orion sur lequel se trouve notre Soleil. Celui-ci est situé à 25 000 années-lumière du noyau, et donc à 25 000 années-lumière aussi de la périphérie.
Le second schéma montre la Voie Lactée vue de profil. Elle se présente alors sous la forme d’une sphère de 100 000 années-lumière de diamètre, traversée en son centre par le disque des bras spiraux d’une épaisseur de 1 000 années-lumière, soit le 1/100 de son diamètre. Toutes les étoiles qu’on voit depuis la Terre appartiennent à ce disque, et on peut affirmer qu’elles se trouvent à moins de 25 000 années-lumière de nous. Dans le halo, on compte très peu d’étoiles, isolées et très anciennes, par contre, il contient de nombreux amas globulaires [2]. L’illustration de cette situation est donnée par la carte du ciel ci dessous obtenue avec Stellarium réglé à la date d’enregistrement de la photo.
6 Voie Lactée StellariumCliquer sur l’image pour l’observer en plus grand format.
A cette date, et à la latitude de Limoges, la constellation du Sagittaire se trouve à l’horizon sud.  C’est pour nous le point de départ de la Voie Lactée. Le disque des bras spiraux vu par la tranche et de l’intérieur s’élève ensuite dans le ciel en traversant successivement les grandes constellations de l’Aigle et du Cygne qu’on distingue nettement sur la photo de Michel Tharaud annotée ci dessous :
VoieLactée annotéeBien évidemment, la Voie Lactée ne s’arrête pas ici. Elle traverse ensuite les constellations de Céphée, de Cassiopée, (visibles sur l’image Stellarium ci dessus), puis celles du Cocher, de Persée, d’Orion, du Grand Chien (observables en hiver dans nos régions), et enfin celles de l’hémisphère sud : la Poupe, les Voiles, le Centaure et la Règle.
La concentration d’étoiles est maximum dans le disque. Dans le Cygne, on observe à l’œil nu des étoiles situées à plus de 12 000 années-lumière. Par contre, à gauche et à droite du disque, les étoiles qu’on voit sont en moins grand nombre et plus rapprochées, puisqu’on regarde dans l’épaisseur du disque. Encore plus éloignés de part et d’autre du disque, on trouve dans le halo des amas globulaires tels M13, le Grand Amas d’Hercule, à 22 000 AL dans la constellation du même nom, M5 à 25 000 AL dans le Serpent, ou bien M72 à 56 000 AL dans le Verseau ou encore plus loin à 67 000 AL : M75 en périphérie du Sagittaire.
Le disque de la Voie lactée n’est pas aligné avec le plan de l’écliptique, mais incliné à environ 60° par rapport à celui-ci. Les deux s’intersectent au niveau des constellations du Sagittaire et, à l’opposé, des Gémeaux. La portion la plus épaisse de la Voie lactée est située dans le Sagittaire, correspondant au renflement du bulbe, entourant le centre galactique et son trou noir.
En théorie, quand on regarde dans la direction du Sagittaire, on devrait voir l’intense luminosité de la périphérie du trou noir central, des milliers de fois supérieure à celle de notre Soleil. Il n’en est rien, celle-ci nous étant cachée par d’immenses nuages de poussière sombre et opaque qui nous rendent invisible toute la partie du ciel située derrière eux. Dans cette direction, les étoiles et les nombreux autres objets célestes qu’on observe se trouvent à moins de 15 000 années-lumière.

Observation des constellations :
Sur l’image annotée, on trouve sans difficulté les 3 étoiles qui composent le Triangle d’Eté :
– Véga, dans la Lyre, étoile de référence à 25 AL avec sa magnitude visuelle égale à 0.00. Son rayon, mesuré avec grande précision par interférométrie a été estimé à 2,73 fois le rayon solaire. Elle se présente sous la forme d’une sphère aplatie aux pôles. Sa rotation rapide est à l’origine de sa protubérance équatoriale. Le rayon à l’équateur, égal à 2,78 fois le rayon solaire, est 23 % plus grand que le rayon polaire (2,26 rayons solaires) [3].

– Deneb, la queue du Cygne (constellation appelée parfois la Croix du Nord), à 1550 AL (réévaluation de 2007 à partir des données d’Hipparcos) et de magnitude 1.25. C’est une super géante blanche variable dont le rayon vaut 110 fois celui de notre Soleil. Deneb engendre autour d’elle un très fort vent solaire qui lui fait perdre chaque année 0,8 millionième de sa masse. Ce vent correspond à un flux cent mille fois plus puissant que celui de notre Soleil [4]. Sur le 1er tirage, à gauche de Deneb, on distingue sans difficulté la nébuleuse « North America » de couleur rouge. Autre étoile intéressante : Albiréo dans la tête du Cygne : étoile double dont les composantes séparées de 34 secondes d’arc, l’une jaune (le topaze), l’autre bleu (le saphir), apparaissent nettement dans les instruments d’amateur [5]. Le Cygne contient aussi l’étoile très chaude : P Cygni (repérée par un cercle dentelé), dont le spectre lumineux contient des raies d’émission, ainsi que la nébuleuse du Voile (NGC 6960), fraction importante la fameuse nébuleuse des Dentelles du Cygne, deux objets célestes précédemment publiés dans cette rubrique [6-7].

– Altaïr, le corps de l’Aigle, à 17 AL, de magnitude 0.75, 2 fois plus grande que le Soleil. Comme Deneb, sa rotation très rapide (1 tour entre 6 et 10 heures selon les estimations) provoque sa déformation. Altaïr est aplatie aux pôles et renflée à l’équateur.
Récemment, des images de la surface d’Altaïr ont été réalisées depuis l’observatoire du Mont Wilson en Californie grâce aux techniques de l’interférométrie stellaire, mettant en œuvre 4 des 6 télescopes du site. Les images obtenues montrent une étoile de couleur bleutée, fortement oblongue ce qui confirme les observations précédentes sur sa vitesse de rotation [8].
Pour mémoire, c’est sur l’instrument CHARA de ce laboratoire, qu’en avril 2015, François Reynaud et Ludovic Grossard ont testé avec succès pour la 1ère fois au monde, une nouvelle technique de détection des étoiles dans l’infrarouge. Cette méthode consiste à changer la couleur des étoiles pour mieux les détecter, en transformant leur lumière infrarouge en lumière rouge [9].

De gauche à droite, on reconnaît aussi 3 petites constellations
– le Dauphin, avec sa forme très caractéristique. Les deux étoiles les plus brillantes de cette constellation, α et β Delphini, portent des noms traditionnels étranges : Sualocin et Rotanev. Ils ont une origine peu commune : apparaissant pour la première fois sur une catalogue d’étoiles publié par l’observatoire de Palerme en 1814, ils viennent en fait de Nicolas Venator, le nom latinisé  écrit à l’envers de l’assistant directeur de cet observatoire [10].

– la Flèche, petite constellation composée de 4 étoiles visibles à l’œil nu, facile à localiser par sa forme quand on a repéré le Dauphin et Altaïr. L’empennage de la Flèche sert de point de départ pour trouver l’amas du Cintre (pointé par une flèche verticale) aussi connu sous le nom de Collinder 399. Facilement observable aux jumelles, il est composé de 10 étoiles de magnitude comprise entre 5 et 7, arrangées selon le forme particulière qui donne son nom. Il s’agit d’un astérisme, c’est-à-dire d’un alignement d’étoiles sans rapport entre elles [11].

– le Petit Renard : petite constellation composée de 2 étoiles (Stellarium) ou de 5 (Wikipedia) dont la plus brillante, Lukida (ou anciennement Anser, l’Oie), une géante rouge forme, avec 8 Vulpeculae, une binaire optique  pouvant être séparée avec des jumelles (0,12°). C’est dans cette constellation que fut découvert en 1967 le premier Pulsar [12]. Elle renferme aussi la nébuleuse planétaire de l’Haltère, alias Dummbell ou M27, très prisée des astronomes amateurs…., et de nos adhérents [13-14].

Webographie :
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Voie_lact%C3%A9e
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Halo_galactique
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/V%C3%A9ga
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Deneb
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Beta_Cygni
[6] http://saplimoges.legtux.org/galerie-de-photos/…..novembre-2013&catid=34&Itemid=54
[7] http://saplimoges.legtux.org/galerie-de-photos/…..mars-2010&catid=34&Itemid=54
[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Alta%C3%AFr
[9] http://saplimoges.fr/mission-chara-2015/
[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Dauphin_%28constellation%29
[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Amas_du_Cintre
[12] https://fr.wikipedia.org/wiki/Petit_Renard
[13] http://saplimoges.legtux.org/galerie-de-photos/….decembre-2011&catid=34&Itemid=54
[14] http://saplimoges.legtux.org/galerie-de-photos/….decembre-2012&catid=34&Itemid=54

Rédaction : Michel Vampouille




L’image du mois d’octobre 2014 : spectre de Beta Lyrae : étoile binaire spectroscopique

Comme chaque année à cette époque, nous consacrons cette rubrique à un article sur la spectroscopie des étoiles. Cette fois, nous nous sommes intéressés à l’étoile Shelyak (ou β Lyrae), une « étoile binaire à éclipses » représentative de la classe des « étoiles binaires spectroscopiques ».

1vegagarnetshelyakhrUne telle étoile comprend deux composantes très rapprochées tournant mutuellement autour de leur centre de gravité. Si le plan de révolution des deux astres se trouve sensiblement dans la ligne de vision de l’observateur, ceux-ci s’éclipsent mutuellement à intervalles réguliers. Leur courbe de lumière présente alors des périodes de luminosité pratiquement constante entrecoupées de chutes d’intensité périodiques. C’est ce type de courbe qui trahit leur nature binaire.
Quant au caractère « binaire spectroscopique », il provient de l’effet Doppler-Fizeau, les spectres de chacune des deux étoiles étant décalées en sens inverse l’un de l’autre sur l’échelle des longueurs d’onde. Celui de l’étoile qui s’éloigne de nous est déporté vers le rouge, alors que celui de l’étoile qui se rapproche de nous est dévié vers le bleu. Une binaire spectroscopique présente donc un spectre dédoublé.
Nous présentons trois spectres complémentaires :
– Celui de l’étoile Véga qui servira à étalonner l’appareil en longueurs d’ondes et à caractériser les performances du capteur dans le bleu.
– Celui de l’étoile « Grenat » (Garnet Star ou μCéphée) pour évaluer la résolution effective du spectroscope et la réponse du capteur dans le rouge.
– Et enfin, celui de l’étoile binaire spectroscopique Shelyak (β Lyrae) avec ses pics brillants dédoublés.
Cliquer sur l’image pour l’obtenir en résolution supérieure.

Modalités d’obtention des spectres :
Les trois spectres présentés ci-dessus ont été obtenus avec un spectroscope « sans fente » composé d’un APN Canon EOS 40D complètement défiltré équipé d’un téléobjectif Canon 200 mm ouvert à F/2.8 sur lequel nous avons fixé un nouveau réseau de diffraction par transmission, « blazé » dans l’ordre 1, de 300 traits/mm, de dimensions 50 x 50 mm. Par rapport à celui que nous utilisions auparavant (300 t/mm, 25 x 25 mm), nous devrions gagner un facteur 4 en luminosité et un facteur 2 en résolution. Le réseau tourne dans son logement de façon à rendre la direction de dispersion parallèle au grand côté du capteur. La focale de l’objectif et la fréquence spatiale du réseau de diffraction ont été choisis pour qu’un spectre dans le domaine visible couvre presque entièrement la largeur du capteur. L’APN est muni d’un dispositif de rotation autour d’un axe vertical de façon à centrer le spectre visible de l’étoile visée sur le capteur. L’ensemble est monté sur une monture avec suivi débrayable et fonction GO TO. Une fois le spectre de Véga convenablement centré sur le capteur, celui des autres étoiles est recherché avec leurs coordonnées AD et RA entrées dans la mémoire de la raquette.
L’APN est commandé par un ordinateur portable qui permet le stockage et l’analyse sur le terrain des spectres photographiés. Leur traitement (offset, dark, registration, empilement, rotation, slant, conversion en noir et blanc, analyse des spectres bruts, étalonnage en longueurs d’ondes, …) sont faits avec IRIS. Ils seront repris ultérieurement avec Visual Spec pour une analyse calibrée en intensité.

Exploitation du spectre de Véga :
Le spectre de Véga présenté ci-dessous (cliquer sur l’image pour l’observer en résolution supérieure) va nous servir de référence pour analyser les deux autres spectres réalisés au cours de la même séance.
Il résulte de l’addition de 2 pauses de 30 secondes enregistrés avec le suivi débrayé. Cette façon de faire (uniquement avec des étoiles lumineuses) donne directement un spectre facilement lisible, car étalé en hauteur. Les possibilités de réglage rapportées plus haut permettent d’avoir une direction de dispersion parallèles au grand côté du capteur et des bandes sombres d’absorption bien perpendiculaires à celle-ci.
2vegaspectreetcourbehrOn distingue sans aucune ambiguïté 6 (voire 7) raies sombres correspondant à l’absorption sélective de la lumière par l’Hydrogène contenu dans la chromosphère de l’étoile, ainsi que 2 bandes d’absorption par l’atmosphère terrestre.
En repérant les positions des raies Hα (pixel : 2962, λ = 656,3 nm) et Hβ (pixel : 1218, λ = 486,1 nm) sur l’enregistrement, on étalonne l’axe horizontal en longueurs d’onde. Pour cela, nous menons les calculs avec la loi des réseaux et les données suivantes : focale de l’objectif : 193,33 mm (mesurée au moyen d’une manipulation dédiée), taille d’un pixel : 5,71 µm, adresse du pixel au milieu du capteur : 1954. On détermine alors :
– l’angle d’incidence du faisceau sur le réseau : 9,72°,
– le pas du réseau : 3,3055 µm, correspondant à une fréquence spatiale de 302,5 traits/mm (donnée fabricant : 300 traits/mm).
– la dispersion : 0,976 Angström/pixel en moyenne.

Grâce à ces résultats préliminaires, on peut, toujours avec la loi des réseaux, déterminer avec précision la longueur d’onde des autres raies sombres d’absorption. Les résultats sont résumés dans le tableau suivant :

vegatableauComme on peut le constater, l’erreur absolue sur les longueurs d’onde ne dépasse  pas 0,3 nm : la précision de nos mesures est donc très satisfaisante. Il est probable que le logiciel Visual Spec conduise à la même précision, mais la transformation ultérieure de cette étude en un TIPE nous a fait préférer cette méthode de calcul illustrant les cours d’optique ondulatoire enseignés en classe préparatoire.

Au passage, on remarque que le domaine spectral mesuré par notre chaîne instrumentale s’étend de 380 nm dans le bleu jusqu’à 740 nm dans le rouge. On peut noter qu’il est difficile de faire plus large, puisque le spectre d’ordre 2 commence à partir de la longueur d’onde : 2 x 380 = 760 nm.

Exploitation du spectre de Garnet star :
Garnet star ou « étoile Grenat » passe pour être l’étoile la plus rouge du ciel. Elle doit donc présenter un spectre très pauvre dans le bleu et très fourni dans le rouge et le proche infrarouge. Le spectre présenté ici est obtenu par l’empilement sous Iris de 10 enregistrements posés 30 secondes chacun.

Cliquer sur l’image pour l’observer en résolution supérieure.
3garnetspectrecourbe
Commé prévu, le spectre de Garnet star est très intense dans le rouge (jusqu’à 800 nm environ, limite au-delà de laquelle on voit poindre le spectre d’ordre 2) et très pauvre dans le bleu (rien en dessous de 450 nm). Pour ce type d’étoiles « froides », l’intérêt du défiltrage du capteur est évident. La mesure de la tempétature de la photosphère est impossible ici. Le logiciel Visual Spec étant nécessaire pour s’affranchir de la réponse instrumentale en intensité de l’appareillage.
On peut néanmoins estimer la résolution effective de l’ensemble en analysant l’allure du doublet du Sodium dont les raies sont espacées de 0,6 nm. Ici, les 2 raies sont parfaitement résolues et on peut estimer à 0,3 nm la limite du plus petit détail spectral observable.
Cette estimation conduit à une résolution effective de 589/0,3 = 1 963 arrondis à 2 000. 
Compte tenu du coût raisonnable du réseau et de la simplicité d’emploi de l’instrument, cette performance est très honorable.

Exploitation du spectre de β Lyrae (Shelyak) :
β Lyrae est un système d’étoile binaire à contact à éclipses constitué d’une étoile naine bleue-blanche de type spectral B7Ve et d’une étoile blanche de type A8V. Les deux étoiles sont assez proches pour que la matière de la photosphère de l’une soit attirée vers l’autre, donnant aux étoiles une forme ellipsoïdale. β Lyrae est le prototype de ce type de binaires à éclipses, dont les composantes sont si proches qu’elles sont déformées par leur attraction mutuelle. La magnitude apparente de Beta Lyrae varie de +3,4 à +4,6 sur une période de 12,9075 jours. Les deux composantes de l’étoile principale sont si proches qu’elles ne peuvent être résolues avec un télescope optique, formant une binaire spectroscopique que l’analyse spectrale permet de dévoiler [1].
Le spectre de β Lyrae présenté ci-dessous a été obtenu à partir de l’empilement de 11 enregistrements de 30 secondes chacun.
Cliquer sur l’image pour l’observer en résolution supérieure.

5shelyakspectreourbeL’une des étoiles étant de type Be, c’est à dire une étoile chaude à émission, il est normal de trouver des pics d’émission brillants dans le spectre. Ceux-ci proviennent des gaz excités de la photosphère, traversés par le rayonnement lumineux très énergétique de l’étoile. Nous avons signalé les trois plus importants qui correspondent aux longueurs d’onde Hα (656,3 nm), Hβ (486,1 nm) et Hélium1 (587,6 nm).
On en distingue d’autres moins intenses à 492.1, 501.5, 667.8, 706.5 nm…, qui correspondent aux autres raies de l’Hélium. L’abondance des pics d’émission « secondaires » traduit le bon comportement de l’instrument.
On distingue aussi des raies d’absorption provenant de l’autre étoile de type A un peu plus froide.
Quand on analyse plus en détail la courbe d’intensité de chaque pic d’émission avec la fonction « coupe » d’Iris appliqué au spectre originel s’étendant sur plus de 3800 pixels (attention, la photo présentée a subi un changement d’échelle de facteur 0,35 selon l’axe horizontal), on remarque que chaque pic est creusé par une étroite raie d’absorption décentrée toujours du même côté. Ce profil spectral, caractéristique des étoiles binaires spectroscopiques, provient du décalage par effet Doppler-Fizeau, des spectres différents de chaque composante. Le jour de l’observation, l’une des composantes entraînée par son mouvement de rotation, s’éloignait de nous. Son spectre est donc décalé vers le rouge (vers la droite, ici). Alors que l’autre se rapproche de nous, mouvement qui entraîne son spectre vers le bleu (vers la gauche). Ici, c’est la composante de type Be (avec ses pics d’émission) qui s’éloigne de nous, et celle de type A (avec ses raies sombres d’absorption) qui s’approche.
Sur les profils à l’échelle 1, nous avons mesuré les écarts spectraux entre la raie d’absorption et le pic d’émission. Les raies spectrales non décalées par effet Doppler se trouveraient juste au milieu de ces écarts. Aux erreurs de mesure près, nous avons trouvé un écart moyen Δλ de 4 Angströms. Cette mesure permet de remonter à l’ordre de grandeur des vitesses radiales, notées VrA et VrBe, avec laquelle chaque composante s’approche ou s’éloigne de nous. Cette mesure seule ne permet pas d’accéder aux vitesses réelles.
Au moyen de la relation : Δλ/λ = 2 Vr/c (c= célérité de la lumière dans le vide = 300 000 km/s), on trouve, en faisant la moyenne des trois mesures :
VrBe : + 108 km/s  (elle s’éloigne),  et VrA = – 108 km/s (elle s’approche).
Au vu des valeurs trouvées dans les catalogues d’étoiles binaires, ces valeurs sont parfaitement plausibles.
Pour compléter cette étude, il faudrait encore faire :
– une analyse en intensité, pour trouver le vrai profil spectral de l’étoile (ici, il est déformé par la réponse spectrale de l’appareillage),
– plusieurs observations espacées de quelques jours pour analyser l’évolution du profil spectral des pics Δλ passe par 0 quand les composantes sont alignées par rapport à nous, puis la raie d’absorption passe à droite du pic brillant, et ainsi de suite…),
– plusieurs observations avec analyse de la courbe de lumière, c’est à dire de la magnitude apparente de l’étoile au fil des jours.
Ce travail est réalisé par les chercheurs professionnels, mais aussi par des amateurs passionnés (et compétents) qui répondent à des campagnes d’observation lancées par des grands organismes de recherche en astronomie.

Webographie :
[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Beta_Lyrae

Rédaction : Michel Vampouille




L’image du mois d’octobre 2011 : spectroscopie d’étoiles

Pour ce mois d’octobre 2011, nous vous présentons des images portant sur le thème de la spectroscopie des étoiles. Depuis plus de deux ans (voir l’image du mois d’août 2010), l’auteur de ces lignes essaie d’améliorer et de valider la technique d’enregistrement des spectres d’étoiles qui consiste à remplacer le spectroscope traditionnel par un simple réseau de diffraction placé sur l’objectif de l’appareil photographique lui-même fixé sur un pied classique. Dans cette configuration, c’est le mouvement de la Terre pendant la pose (1 minute environ) qui élargit le spectre en hauteur grâce au déplacement relatif de l’étoile visée sur le film.
Quelle résolution (faculté de distinguer deux raies spectrales très rapprochées) peut-on attendre de cette technique ?
C’est à cette question que les trois spectres présentés ci-dessous vont tenter d’apporter une réponse.
Ils ont été obtenus par Michel Vampouille avec un réseau par transmission de prix modique, à 300t/mm, très efficace dans le 1er ordre de diffraction, de dimension 30 X 45 mm. L’appareil photo est un Canon EOS 40D posé sur un pied très stable et muni d’un objectif de focale 200 mm, ouvert à F/2,8 (un téléobjectif « classique » aurait suffi).
Cliquer sur les spectres pour les observer en haute résolution numérique.
SpectreshrbisLe premier spectre est celui de l’étoile Véga. Sa forme générale bien respectée et les trois raies d’absorption bien visibles de l’hydrogène nous serviront à l’étalonnage en intensité et en longueurs d’onde.
Le deuxième correspond à l’étoile Arcturus. On y distingue bien les nombreuses raies d’absorption, mais leur contraste et leur netteté sont inférieures à ce qu’on pouvait espérer.
Le troisième est encore celui d’Arcturus, mais cette fois le réseau a été diaphragmé pour atténuer ses défauts et malgré la baisse de luminosité, les performances sur la résolution sont en bon accord avec les prévisions.
Si vous voulez en savoir plus sur la méthode d ‘analyse de ces spectres et sur la mesure de la résolution atteinte, lisez la suite.
Les informations ci-dessous sur l’analyse des spectre et la mesure de la résolution sont données à titre indicatif. Elles n’ont pas d’autre prétention que de décrire les différentes étapes suivies par l’auteur pour parvenir à l’amélioration de la résolution. Il y a bien d’autres manières de procéder pour atteindre le même résultat. Il appartiendra donc au lecteur intéressé d’adapter, de remplacer, voire de supprimer telle ou telle consigne en fonction de son matériel et de son savoir-faire.

Pour commencer, rapportons la technique de prise de vues :
– APN Réflex avec « Live View », objectif de bonne qualité optique de focale autour de 200mm, sensibilité inférieure à 800 ISO si possible, pied classique très stable, déclencheur à distance avec minuterie (ou retardateur). Format RAW vivement recommandé.
– Viser l’étoile souhaitée (sans le réseau) et réaliser la meilleure mise au point possible avec le « Live View » et la loupe 10X.
– Réseau par transmission 300t/mm avec dispositif rotatif permettant de le placer sur l’objectif. Un montage en carton suffit amplement pour commencer.
– Placer le réseau sur l’objectif avec précaution pour ne pas dérégler la mise au point. Orienter les traits du réseau perpendiculairement au plateau de fixation de l’APN.
– Tourner l’APN d’environ 8° sur son support pour faire apparaître le spectre souhaité.
– Faire une première pose de 1 minute pour connaître la direction du filé de l’étoile.
– Par approches successives, essayer de mettre cette direction à peu près perpendiculaire au spectre.
Vous devez obtenir une image qui ressemble à celle donnée ci-dessous, avec éventuellement un fond moins noir.
3 Arcturusbrut– Lorsque l’image obtenue vous convient, la répéter plusieurs fois.
– Ne pas oublier de faire des « darks » et des « offsets ».

Continuons par le « développement » numérique des enregistrements. Nous en ferons deux distincts :
– un pour obtenir des spectres en couleur publiables dans un article, mais inexploitable de manière quantitative,
– un autre en noir et blanc, peu esthétique, mais riche d’informations exploitables avec le logiciel gratuit adapté au traitement des spectres « Visual Spec ».

Développement couleur adapté à leur présentation :
– Transférer les fichiers RAW sur un ordinateur et les ouvrir avec le logiciel de la marque de votre APN (Digital Pro pour Canon) qui va conserver l’information sur les adresses des pixels.
– Les convertir en JPG et les enregistrer.
– Les importer dans le logiciel gratuit de traitement d’images IRIS.
– Utiliser les fonctions « Rotation » et « Slant » pour rendre les spectres horizontaux et les raies spectrales bien perpendiculaires à la direction des spectres. Sauver les images obtenues.
– Les transposer dans le logiciel cosmétique de votre choix pour améliorer le rendu des couleurs et la qualité du noir et. Découper la partie intéressante.

On obtient alors un des spectres présentés sur la première photo.
Les autres provenant d’autres étoiles sont obtenus de la même façon.
Les juxtaposer les uns au-dessous des autres en respectant la position des raies sombres communes. En faisant ainsi, on identifie très facilement la présence ou l’absence des raies d’absorption. Par exemple : raie Hβ (dans le bleu) du spectre d’Arcturus, ou bien raies du Sodium à peine visibles (dans l’orange) du spectre de Véga.

Développement Noir et Blanc adapté au traitement quantitatif des données :
– Transférer les fichiers RAW de départ dans le logiciel IRIS et les sauver au format PIC noir et blanc (un des formats admis par Visual Spec).
– Idem pour les « darks » et les « offsets ». Faire le prétraitrement habituel pour supprimer les points chauds et obtenir un fond noir « d’intensité » comprise entre 0 et 100. Si certains points chauds résistent, intervenir manuellement avec les fonctions « Max » et « Erase » d’Iris. Il est préférable qu’aucun point chaud ne figure sur le spectre.
– Utiliser les fonctions « Tilt » et « Slant » pour rendre les spectres horizontaux et les raies spectrales bien perpendiculaires à la direction des spectres. Soigner particulièrement ces deux opérations.
– Utiliser la fonction « Fenêtrage » pour découper la partie utile du spectre.

L’image que vous obtenez doit ressembler à celle-ci : toutes les opérations effectuées ont respecté à la fois l’adresse des pixels et l’intensité spectrale, deux conditions indispensables pour faire des mesures.

4 veganb

– Transférer ensuite ce fichier au format PIC noir et blanc dans le logiciel « Visual Spec ». Celui-ci a pour rôle (entre autres) de transformer le spectre ci-dessus en un graphe donnant, après étalonnage, l’intensité spectrale en fonction de la longueur d’ondes. Le spectre ci-dessus prend alors l’allure du graphe ci-dessous :
5b spectrevega51mai avec légendesLe spectre mesuré est la courbe en bleu. Faire l’étalonnage avec deux raies d’absorption. On peut la comparer à la courbe réelle (en violet) contenue dans la bibliothèque du logiciel. Bien évidemment, le spectre réel est affecté par la réponse spectrale du capteur en forme de cloche comprise entre les longueurs d’ondes limites 4 150 et 6 800 Angströms (1 Angström = 0,1 nanomètre). Avec ces deux courbes, le logiciel va pouvoir calculer la réponse spectrale de notre appareillage et corriger ensuite tous les spectres obtenus ultérieurement avec celui-ci.

Mesure de la Résolution  :
Si l’on revient à notre intention de mesurer la résolution, on remarque tout d’abord que les trois raies d’absorption tombent bien à la bonne place, et qu’ensuite, on voit poindre un tout petit creux vers 5890 Angströms qui n’est rien d’autre que la signature du Sodium.
Pour faire notre mesure, il faut enregistrer le spectre d’une étoile plus froide qui comporte plus de raies rapprochées : Arcturus par exemple.
Le même traitement a donc été fait avec sur cette étoile avec le réseau de 300t/mm illuminé dans sa totalité. Son spectre en couleur est le deuxième sur la première photo. Comme on peut le remarquer, les raies spectrales sont peu contrastées et pas assez bien définies.
Nous avons donc cherché à réduire ces défauts en diaphragmant le réseau en hauteur et en largeur. Des études annexes menées en laboratoire avec une lampe spectrale au sodium nous ont conduits vers cette solution qui consiste à ne conserver qu’une toute petite partie du réseau (20 X 15 mm) soigneusement sélectionnée. Compte-tenu du mode de fabrication de ce type de réseau, et de son prix modique, les défauts remarqués n’ont rien d’étonnant. On peut les minimiser en choisissant une zone « correcte », mais on ne peut pas les supprimer. Cette diaphragmation présente l’inconvénient de réduire la quantité de lumière reçue sur le capteur, mais augmente considérablement la résolution.

Avec le réseau diaphragmé, le spectre coloré est le troisième de la photo du haut. Le spectre en noir et blanc au format PIC et son graphe correspondant sont donnés ci-dessous :

6 arcturusnbbr
spectrearcturus71aout avec légendes
Là encore, le graphe fait apparaître une courbe en cloche que nous traiterons ultérieurement. Mais, et c’est ce qui nous intéresse, on distingue très nettement un grand nombre de raies très rapprochées reproduisant avec fidélité les raies de la courbe « réelle » fournie par la bibliothèque de Visual Spec.
L’étalonnage selon l’axe des longueurs d’ondes nous donne 0,98 Angström par pixel. Mais attention, cela ne signifie pas que cette valeur correspond au plus petit écart en longueur d’ondes qu’on sait résoudre.
Pour mesurer la résolution réelle, il nous faut faire un zoom, par exemple sur la raie d’absorption du Sodium (celle de droite) située vers 5 890 Angströms et regarder si elle est résolue.

lllll

On voit nettement sur le zoom du spectre mesuré que la raie du Sodium se divise en deux : un creux à 5 890 Angströms et un autre à 5 896. Soit un écart spectral de 6 Angströms que l’on soupçonnait d’ailleurs sur le 3ème spectre de l’image haute résolution du spectre coloré du début. On peut même estimer qu’un écart plus faible aurait été détecté. Bien que la courbe mesurée soit entachée de bruit dû à la sensibilité trop élevée de 1 600 ISO utilisée pour l’enregistrement de ce spectre, on voit qu’il y a d’autres doublets que l’analyse graphique a détectés alors qu’ils ne sont pas mentionnés sur les spectres du logiciel. On remarque aussi la résolution du triplet dans le vert.

Quoi qu’il en soit, nous sommes maintenant en mesure d’évaluer la résolution réelle de notre appareillage. Sa définition est donnée par le rapport existant entre la longueur d’onde moyenne de travail (ici 5 890 Angströms) et le plus petit écart en longueurs d’ondes mesurable. Si on l’estime à 5 Angströms, il nous donne une valeur approximative de 1 200 pour la résolution réelle.

Cette valeur est à comparer avec la résolution théorique du réseau seul qui est ici donnée simplement par le nombre de traits du réseau illuminés, soit 300 traits/mm X 20 mm = 6 000.

Le résultat que nous avons obtenu est très satisfaisant, car tous les spectroscopistes savent bien que seul un montage parfait au point de vue optique est capable d’approcher la valeur théorique. En général, une résolution expérimentale égale au tiers de la résolution théorique est considéré comme correct. Nous en sommes au cinquième avec un composant optique de qualité basique. C’est donc une bonne performance.

Certes, il nous reste le problème de la trop faible quantité de lumière captée par le réseau diaphragmé, mais ceci est un autre sujet d’étude dont nous reparlerons dans les prochains mois.
Une autre amélioration possible pourrait aussi être obtenue en supprimant le filtre infra-rouge placé devant le capteur de l’APN. Elle se traduirait par une extension notable du spectre dans l’infra-rouge.

En conclusion, nous pensons avoir montré que la technique d’enregistrement des spectres d’étoiles présentée dans cet article, c’est à dire en remplaçant le spectroscope ‘traditionnel » par  un réseau de diffraction, est une alternative intéressante qui permet d’atteindre des résolutions expérimentales supérieures à 1 000. Un réseau de meilleure qualité optique, de dimensions comparables à celui, non diaphragmé que nous possédons, devrait conduire à des performances supérieures, aussi bien en résolution qu’en luminosité.

Webographie :
– http://www.astrosurf.com/vdesnoux/download.html : pour le logiciel gratuit « Visual Spec ».
http://www.astrosurf.com/buil/iris/iris.htm : pour le logiciel gratuit « Iris ».

Rédaction : Michel Vampouille