L’image du mois de décembre 2013 : portion de Lune au 20ème jour

lunehrPour le dernier mois de l’année 2013, voici l’image d’une portion de notre satellite photographiée par Christophe Mercier dans la nuit du 24 au 25 septembre et publiée dans le numéro du mois de décembre d’Astronomie Magazine (n°162).
La région visée se situe en bordure du terminateur, visible à droite. Elle est présentée telle qu’on la voit avec des jumelles, c’est à dire avec le nord en haut, l’est à droite, la lumière solaire venant de la gauche. Des cratères de tous types et de toutes dimensions témoignent d’un intense bombardement météoritique.
Cette image est une mosaïque composée de 24 photos juxtaposées. Chacune d’elles est réalisée avec une caméra CCD DBK21AU618.AS au foyer d’un télescope Meade LX 200 10 pouces muni d’une Barlow 2. Après traitement avec le logiciel Iris, les photos sont assemblées au moyen de la fonction “Photomerge” de Photoshop. Cette technique permet d’obtenir des images très détaillées, qualité qu’on peut apprécier ici en cliquant sur l’image pour l’observer en grand format.

PRISE DE VUES
Bien que la technique de la mosaïque soit pratiquée par beaucoup d’astronomes amateurs, celle-ci, dans le cas présent, réclame un soin et un savoir-faire exigeant si on souhaite obtenir un résultat impeccable. Ici, les difficultés à dominer sont nombreuses :
– tout d’abord, il y a le problème de la mise au point avec une focale qui dépasse 6 000 mm (2 500 du Meade 10 pouces) X 2 (Barlow) X position reculée du capteur qui accroît la focale [1]),
– ensuite, il y a la petite taille du capteur : diagonale de 4,5 mm avec une résolution de 640 x 480 pixels, conduisant à multiplier le nombre de prises de vue pour couvrir un champ raisonnable,
– et enfin, la turbulence obligeant à dupliquer plusieurs fois chaque vue pour espérer en avoir une bonne passant à travers un trou d’agitation thermique. Pour réduire cet effet, Christophe a utilisé un filtre rouge (longueur d’onde plus grande) et poussé à fond la sensibilité du canal rouge de la caméra.
Tout cela se traduit par une grosse quantité de fichiers à classer et à traiter sur place tout de suite après les prises de vue, entraînant un temps de présence de plus de 6 heures sur le terrain.
Mais le résultat est à la hauteur des efforts consentis…

SELENOGRAPHIE
Aujourd’hui, la Lune est un astre quasiment mort : de très faibles “tremblements de Lune”, une atmosphère très ténue, pas de vent, pas d’eau liquide font que la croûte lunaire, solidifiée sur 60 km d’épaisseur environ, est restée figée depuis 3 milliards d’année….
Mais des chutes de météorites nombreuses et violentes sont venues bouleverser sa surface.
La région parsemée de cratères photographiée par Christophe témoigne de cette intense et ancienne activité (qui existe encore aujourd’hui sous la forme d’une pluie perpétuelle de plusieurs dizaines de tonnes de micro-météorites par jour).
La figure qu’on reconnaît en premier se situe à droite de l’image, en bordure du terminateur. Elle est constituée du trio des cratères Théophilus, Cyrillus et Catharina formant une chaîne qui essaie de s’infiltrer entre le Golfe des Aspérités (A) au nord et la mer du Nectar (B) au sud, tous deux encore dans l’ombre. Cliquer sur l’image pour l’observer en grand format.

lunelegendehrThéophilus (en mémoire de l’astronome grec Théophile d’Alexandrie mort en 412) est un cratère pratiquement intact depuis sa création. Il mesure 100 km de diamètre et 3 000 m de profondeur. C’est le plus jeune du trio : on voit très bien qu’il a écrasé partiellement son voisin Cyrillus [2]. Ici, on voit surtout sa crête ouest éclairée par le soleil rasant.
Cyrillus (en mémoire de Saint Cyrille d’Alexandrie, pape copte de 412 à 444) : cratère de 98km de diamètre et de 3 600 m de profondeur. Le fond de l’arène fort vallonné montre un massif montagneux central composé de trois pics dont le plus haut dépasse 1 000m [3-4].
Catharina (en mémoire de la martyre Catherine d’Alexandrie 290-307) : le plus ancien des trois, avec des flancs érodés et effondrés de 3 100 m de profondeur entourant un plancher intérieur de 100 km de diamètre [5]. Au nord de celui-ci, on distingue très bien le cratère satellite “Catharina P” de 46 km de diamètre.
Rupes Altai : longue crête de 427 km de long, nommée ainsi en raison de sa ressemblance avec le massif montagneux de l’Altaï. Elle bute au nord contre le cratère Tacitus. Par endroits, sa hauteur dépasse 1 000 m [6].
Tacitus : petit cratère de 39 km de diamètre, en mémoire de l’historien romain Néron 58-120[7].
Fermat : ce cratère, de 39 km de diamètre et de 2 000 m de profondeur, présente un contour irrégulier, mais assez bien conservé, et une arène plate sans crête ni pic central. Parmi ses 9 cratères satellites, on peut nommer “Fermat A” (diamètre 17 km) qui le jouxte au nord, et “Fermat P”, le plus éloigné et le plus grand (37 km diamètre). Son nom honore le mathématicien français Pierre de Fermat 1605-1665 [8].
Sacrobosco : cratère irrégulier de 98 km de diamètre et de 2 800 m de profondeur, facilement identifiable en raison des 3 cratères circulaires (nommés Sacrobosco A, B et C, respectivement 17, 14, 13 km) à l’intérieur de son arène relativement plane par ailleurs. Ses flancs sont fortement usés et érodés, en particulier au nord-est. Pas moins de 23 cratères satellites portent son nom [9]. Ce dernier salue la mémoire de Jean de Halifax, plus connu sous le nom de Joannes de Sacrobosco (fin du 12ème siècle – 1244 ou 1256 ?) qui fut professeur à la Sorbonne, mathématicien et astronome [10].
Azophi (en mémoire de Abd Al-Rahman Al Sufi, astronome persan 903-986 [11]) : petit cratère régulier de 47 km de diamètre et 3 700 m de profondeur. Ses flancs relativement pointus et presque intacts à l’exception de “Azophi C”(diamètre 5 km) au nord-est entourent une arène centrale plate parsemée de craterlets minuscules [12]. Ce cratère permet d’évaluer à 500 m environ la taille du plus petit détail observable sur la Lune avec l’appareillage utilisé.
Abenezra (en référence à Abraham Ibn Ezra 1090-1065, érudit juif de l’Age d’Or espagnol au Moyen-Age) : cratère de forme sensiblement polygonale avec des segments de paroi inégaux observé pour la 1ère fois en 1645 par Johannes Hevelius, un astronome polonais se plaçant entre Galilée et Newton. Les parois intérieures en terrasse enserrent un sol irrégulier formant des motifs sinueux inhabituels qui se distinguent très bien sur l’image. Le cratère, d’un diamètre de 42 km et d’une profondeur de 3 200 m, empiète dans sa partie orientale sur un autre cratère plus grand (44 km) et plus ancien dénommé “Abenezra C”[13].
Geber (en référence à Abü Muhammad Jäbir Ibn Aflah, nom latinisé en Geber, mathématicien et astronome arabe installé à Séville, 1100-1150)  est un cratère régulier presque circulaire de 45 km de diamètre qui présente un fond plat enserré par des flancs bien dessinés s’élevant à 3 500 m de hauteur. Il est entouré de 9 cratères satellites dont le plus grand est “Geber B” (diamètre 19 km) sur son flanc nord-ouest [14].
Almanon (en reconnaissance des travaux d’Al-Mamum, 786-833, calife abbasside créateur de l’Observatoire de Bagdad, le premier observatoire astronomique permanent au monde) : cratère de forme circulaire légèrement allongée, avec une paroi intérieure plus large sur sa partie orientale. Large de 49 km et profond de 2 500 m, il présente un fond plat piqueté de tout petits craterlets. Treize satellites portent son nom, parmi lesquels “Almanon A et B” (10 km et 25 km) au sud, et “Almanon C” (16 km) au nord-est [15].
Abulfeda : joli cratère circulaire de 62 km de diamètre et de 3 100 m de profondeur. On voit sur l’image que ses parois internes orientales sont éboulées : ce peut être l’effet d’un bombardement mineur direct (traces blanches sur la crête) et/ou des secousses provenant d’impacts voisins (il est entouré de 25 cratères satellites). Le fond du cratère est lisse et sans relief : il a dû être rempli après sa formation par les éjectas de la Mer des Pluies ou de la lave basaltique [16]. Son nom fait référence à Ismaël Abul-fida, un sultan historien géographe kurde ayant vécu en Syrie entre 1273 et 1331 [17].
Catena Abulfeda  est une chaîne composée d’une vingtaine de petits cratères (entre 1 et 3 km) rigoureusement alignés entre le flanc sud de Abulfeda, Almanon C et Rupes Altaï. On suppose que cette chaîne de 210 km de long est due aux impacts d’une météorite qui s’est brisée juste avant de tomber [18].
Apollo 16 : site d’alunissage de la mission habitée Apollo 16 qui s’est déroulée du 16 au 27 avril 1972. Cette mission, qui emportait 3 astronautes, disposait d’un module lunaire capable de transporter un Rover lunaire et de rester 3 jours à la surface de la Lune. Trois sorties extravéhiculaires d’une durée totale de 20 heures et 41 minutes ont été effectuées par John Young et Charles Duke, les deux astronautes qui ont aluni. Ils ont parcouru 26,7 km avec le rover et récolté 96 kg d’échantillons de roches qui seront ramenés sur Terre. Le troisième, Thomas Mattingly, resté en orbite, a effectué des observations scientifiques. D’après les géologues, le site retenu, situé sur les hauts plateaux, devait révéler des formations d’origine volcanique. Mais les échantillons rapportés par les astronautes montrèrent que cette hypothèse était erronée [19].

Note : Les noms des cratères de la face visible de la Lune ont été attribués officiellement par l’Union Astronomique Internationale (UAI) en 1935, et ceux de la face cachée en 1970. Certains petits cratères, anciennement des cratères satellites, ont été renommés en 1976.
L’UAI est la seule instance internationale habilitée à donner un nom aux objets célestes. Elle regroupe des organisations scientifiques de 60 pays et plusieurs milliers d’adhérents individuels. Son siège est à l’Institut d’Astrophysique de Paris.

Bibliographie et Webographie

[1] http://saplimoges.fr/administrator/index.php?option=com_content&view=article&layout=edit&id=204
[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Theophilus_%28crat%C3%A8re%29
[3] http://en.wikipedia.org/wiki/Cyrillus_%28crater%29
[4] Découvrir la Lune – Editions Bordas
[5] http://fr.wikipedia.org/wiki/Catharina_%28crat%C3%A8re%29″
[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Rupes_Altai
[7] http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_crat%C3%A8res_de_la_Lune
[8] http://fr.wikipedia.org/wiki/Fermat_%28crat%C3%A8re%29
[9] http://en.wikipedia.org/wiki/Sacrobosco_%28crater%29
[10] http://fr.wikipedia.org/wiki/Johannes_de_Sacrobosco
[11] http://fr.wikipedia.org/wiki/Abd_Al-Rahman_Al_Sufi
[12] http://wikipedia.qwika.com/en2fr/Azophi_%28crater%29
[13] http://fr.wikipedia.org/wiki/Johannes_Hevelius
[14] http://en.wikipedia.org/wiki/Geber_%28crater%29
[15] http://en.wikipedia.org/wiki/Almanon_%28crater%29
[16] http://en.wikipedia.org/wiki/Abulfeda_%28crater%29
[17] http://en.wikipedia.org/wiki/Ismael_Abul-fida
[18] http://books.google.fr/books?id=gOW2MO-IFa4C&pg=PA67&lpg=PA67&dq=abulfeda+catena&source=bl&ots=YChV54Acek&sig=yyzwZOfKRPVxAhzSIfQVkCEhv0o&hl=fr&sa=X&ei=62aXUqnSKce70QWWkYDgAQ&ved=0CDUQ6AEwATgK#v=onepage&q=abulfeda%20catena&f=false
[19] http://fr.wikipedia.org/wiki/Apollo_16

Rédaction : Michel Vampouille
Relecture : Denis Lefranc, Christophe Mercier.